Galeries Lafayette : comment sortir de Paris?

Pour la deuxième fois en quelques années les Galeries Lafayette essaient de racheter Le Printemps. L’enjeu est moins d’absorber le concurrent de toujours que de s’arrimer encore plus fermement à l’une des marques françaises qui fait l’unanimité dans le monde globalisé et qui fonctionne comme une marque-ingrédient pour les Galeries Lafayette : Paris.

 

Quel est l’enjeu de l’éventuel rachat du Printemps par les Galeries Lafayette ? Une rivalité entre deux commerçants voisins dont les flagships occupent à eux seuls plusieurs centaines de mètres boulevard Haussmann ? Une opportunité de réinvestir la plus-value de la cession des 50% de Monoprix que les Galeries Lafayette détenaient jusqu’à l’été dernier ? Une course à la taille pour augmenter le rapport de force dans la négociation avec les marques qui ont besoin d’y être distribuées ? Une solidification de l’implantation en province avec l’acquisition de 16 magasins supplémentaires ? A chacun de pondérer ces différentes explications, mais une autre partie de la réponse se trouve, une fois n’est pas coutume, dans un… logo, celui des Galeries Lafayette. Il suffit de regarder ses deux t à l’effigie de la Tour Eiffel. Avec ce logo stratégique et programmatique, on voit bien que c’est la dimension symbolique plus qu’économique qui oriente la négociation : l’enjeu pour tous les prétendants, c’est Paris. Et pour la marque Galeries Lafayette, l’enjeu c’est le renforcement de Paris en tant que marque-ingrédient, inscrite dans le nom de l’enseigne lui-même. Pareille occasion se présente rarement.

 

Au moment où beaucoup s’agitent autour de la “marque France”, laquelle n’est pas une marque mais plutôt le symbole mondial d’un art de vivre, un grand combat se déroule sous nos yeux pour acquérir un morceau supplémentaire de Paris, la plus grande marque territoriale dont dispose la France. Car Paris est un mythe pour le monde entier, bien plus fort et plus attractif en termes économiques que le mythe français qui manque de globalité et n’est pas à la hauteur dans de nombreuses industries. Les Français sont jugés arrogants un peu partout dans le monde, tandis que les Parisiennes continuent d’incarner les femmes les plus désirées de la planète. Les Galeries Lafayette l’ont compris depuis longtemps, en affichant sur tous les bus à touristes qui parcourent la capitale, en attirant les tour opérateurs, en distribuant des plans de Paris dans les hôtels et en reproduisant la célébrissime coupole du magasin du boulevard Haussmann dans leurs quelques magasins à l’étranger. En clair, la vraie bagarre se joue dans un mouchoir de poche boulevard Haussmann, qui est un morceau de l’âme de Paris autant qu’une parcelle d’un mythe mondial.

 

Le vainqueur de la négociation sera donc Paris. Mais un Paris mondialisé. Pour certains prétendants étrangers, ce serait une occasion de rester ou de s’implanter dans la capitale de la mode. Pour d’autres, comme les Galeries Lafayette, ce serait à l’inverse un atout supplémentaire pour s’implanter à l’étranger avec plus de chances de réussite, tant Paris fait vendre dans le monde entier. Un vrai grand pari, car jusqu’à présent aucun grand magasin n’a réussi à transcender ses racines urbaines pour s’internationaliser, à la différence des distributeurs nés en dehors des villes. Ikea et Carrefour ne sont d’aucun lieu, tandis que Harrods est un morceau de Londres et le KaDeWe un monument de Berlin. Si les Galeries Lafayette qui possèdent déjà le BHV rue de Rivoli annexent le Printemps, leur représentativité parisienne sera encore plus incontestable dans les Emirats, en Asie, au Brésil, partout où les grandes métropoles accueilleraient bien volontiers la marque à la Tour Eiffel. Le grand Paris se fera peut-être en dehors de France.