Le secret des marques low cost

En moins de dix ans les entreprises low cost ont taillé des croupières aux industriels du mass market. C’était prévisible. Elles ont construit des marques fortes et dépoussiéré le branding des prix bas. C’était inattendu. Quel est le secret de ces marques d’une nouvelle génération ?

 

 

Une posture de marque dérangeante.

 

Easyjet, Free, Logan, IDTGV, Amaguiz, Sosh, ING Direct, Airbnb, Vente-privée… La plupart de ces marques ont été imaginées par des francs-tireurs qui ne se sont pas contenté de casser les prix en revisitant de fond en comble les structures de coûts. Ils ont bouleversé les codes en vigueur en proclamant possible l’impossible. Ainsi, après le succès du TGV face à l’avion, Ouigo se bat aujourd’hui contre la voiture ; et Xavier Niel déclarait récemment que la voix et le SMS devraient être gratuits. Pas de chasse gardée !

 

Les marques low cost de la nouvelle génération partagent une même posture  transgressive : elles se battent contre l’ordre établi sur les marchés. Sur ce point, elles se comportent comme toute grande marque : N°5 premier parfum synthétique et ” artificiel ” dans l’histoire, BIC et ses produits jetables, Dyson premier aspirateur cyclonique sans sac, Branson l’empêcheur de tourner en rond avec sa marque Virgin etc. Ainsi l’expression ” marque low cost ” fait-elle aujourd’hui sens : c’est un oxymore suscitant le désir d’achat et non plus l’antinomie d’autrefois.

 

A vrai dire, on s’attendait à leur succès commercial mais pas à de tels bénéfices d’image. Personne n’avait prédit que certains lancements – forfait Free à 2€, nouvelle Logan, vente de bijoux Chaumet par Vente Privée, concerts à bord des IDTGV etc. – créeraient le buzz comme peut le faire le dernier smartphone de Samsung. Quand on les a vu naître, on s’attendait plutôt à des marques au rabais, avec le prix bas pour seule raison d’être. On les imaginait construites sur le modèle des marques des distributeurs qui dégradent fortement les prix sans satisfaire le besoin implicite des clients : associer le bas prix au plaisir. A l’inverse elles ont resegmenté le discount en introduisant le fair cost qui désigne une offre essentielle, accessible et désirable.

 

 

Le ressort de la surprise et du plaisir

 

Jusqu’alors bas prix et effet-marque ne se conjuguaient pas. Les discounters se faisaient fort d’aller droit au but, comme CDiscount avec sa ” grande boucherie ” quotidienne des prix barrés. Et les ” vraies ” marques du mass market, de leur côté, maintenaient le niveau de leur prix par toujours plus de séduction, comme Oasis avec sa saga Be Fruit. La convergence des opposés a donné naissance à une nouvelle catégorie de marque, construite sur la surprise et le plaisir. Ces marques vont plus loin que celles des distributeurs des années 1960 qui se battaient pour le porte-monnaie sans apporter l’actuelle prime des petits bonheurs. Et pour ne prendre que l’aspect publicitaire, Rodolphe n’a rien à envier aux grandes sagas. Nous avons bien affaire à de vraies marques.

 

 

Libérer les clients.

 

Ces marques de nouvelle génération ne profitent pas seulement de la baisse du pouvoir d’achat. Elles bénéficient de l’incapacité des marques mass market à se remettre rapidement en question. Pourtant, les conclusions des études quanti-quali réalisées pour le mass market sont depuis longtemps claires : le bénéfice-client est trop souvent devenu impalpable, les consommateurs ne s’estiment plus assez transformés dans leur vie personnelle. On est bien loin des années 1970 où ces marques changeaient notre façon de vivre.

Les marques low cost ont fait leur lit dans ce marketing bureaucratique qui gère les marques à coup d’opé de comm’ au lieu de revitaliser régulièrement leur combat fondamental. C’est en prenant le contre-pied des plateformes de marque conformistes qu’elles ont trouvé leur premier vrai secret : promettre plus de liberté à des clients et ne plus les considérer comme des ” consommateurs “. Elles se posent la question que toute entreprise devrait se poser et se reposer : c’est quoi l’idée que la marque est censée exprimer ? La réponse, en langue low cost, est construite pour interpeler : ” Travel like a human ” (Airbnb), rendre désirables des produits obsolètes (Vente Privée), ” C’était comment l’assurance avant ? ” (Amaguiz).

 

 

Estime de soi

 

Moins cher mais plus de liberté perçue et vécue, utiles et sympathiques, des prix bas qui donnent bonne conscience : le paradoxe du low cost se nourrit de cette harmonie des contraires. C’est le deuxième secret : minorer les prix mais majorer l’estime de soi. Les clients convaincus par les marques low cost peuvent “redesigner” des situations de leur vie sans payer le prix fort. La simplicité qui fait vendre s’accompagne ainsi d’une valorisation personnelle. Certes, le plaisir généré reste très calculé et ne s’inspire pas de la démesure des imaginaires mythologiques comme le fait une marque de parfum ou d’automobile. Il faut sans doute y voir l’effet d’une époque de plus en plus dominée par des gens ” normaux ” et la quête des petits ” kiffs “.

 

 

Inter-net

 

Le troisième secret est induit par la technologie à laquelle les marques low cost sont étroitement associées : l’inter-net, écrit avec un trait d’union pour rappeler que les réseaux de prescription se tissent ” entre ” des personnes. Alors que la technologie ne devait servir qu’à minimiser les coûts, elle a permis à ces marques de devenir immédiatement sociables lorsque le web a muté avec l’apparition des réseaux sociaux. Les marques low cost, facebookées, twittées, pinterestées, bénéficient sans effort des conversations entre les individus.

 

Par voie de conséquence, ces marques sont des marques générationnelles. Pour les plus jeunes qui vivent connectés, elles sont une évidence. Et sous l’effet d’un mimétisme social elles en deviennent attractives auprès de tous. Elles n’ont pas besoin d’investir dans des programmes visant à transformer les commerciaux en ” ambassadeurs de marque ” : leurs clients se chargent de faire circuler leurs bons plans. Faire parler de soi plutôt que parler de soi : la réputation d’utilité des marques low cost n’est un secret pour personne.

 

 

Effet collatéral sur le mass market

 

Face aux nouveaux héros prométhéens qui nous décrochent la lune, les vieilles marques consacrent beaucoup de ressources pour rester des émetteurs au centre de tout et éditer des contenus toujours plus élaborés. Certaines se transforment en marques-médias pour séduire les internautes qui les consomment goulûment sur Youtube. Mais pour quels résultats ? Red Bull n’aurait pas vu ses ventes croître après le saut de Baumgartner. Revenons-en à la question essentielle : c’était quoi l’idée de cet événement spectaculaire ? Au-delà de la couverture médiatique, ça a changé quoi pour qui ?

 

Ainsi, de nombreuses marques mass market qui avaient perdu l’habitude de devoir justifier leur raison d’être sont prises en tenaille. La Redoute, pour qui, pourquoi ? Le hold-up d’Inès de la Fressange suffira-t-il à créer le désir d’achat quand Vente Privée mobilise les consommatrices à 7h du matin avant qu’elles ne partent travailler ? Aucune marque ne peut plus éviter les questions fondamentales : pour quoi se bat-on ? qu’est-ce qui manquerait au marché si nous disparaissions ? Rude mais salutaire !

 

 

Le low cost sans marque

 

L’effet-Free ne doit pas faire oublier que beaucoup de pure players tirent le diable par la queue ni que toutes les entreprises produisant à bas coûts ne parviennent pas à créer un effet-marque. CDiscount a une image-prix en or, une présence impressionnante sur le web, une offre plus que large. Mais côté fierté d’achat, c’est plutôt faible, et ce n’est pas sa personnalité de marque trop peu marquante qui empêchera Amazon de lui prendre des parts de marché avec sa stratégie de services. Ryanair, qui reste lui aussi scotché au prix, n’offre pas une expérience mémorable avec son décollage de Beauvais. Il manque à ces entreprises une idée créative et surtout une volonté pour passer du stade de la vente de produits à celui de la marque : la notoriété ne leur suffira pas pour résister. IKEA, enseigne experte en petits prix, a compris depuis longtemps que, pour construire une marque, il faut être inattendu et innover en dehors du prix : on ne vend pas du discount, on cherche d’abord à changer la vie des clients. Ce qui est précisément la mission d’une marque.

 

 

L’âge d’or peut-il durer ?

 

Tous les far west se transforment un jour ou l’autre en paysages bourgeois et clôturés de propriétés individuelles. Vente-privée se développe aujourd’hui en Europe grâce à sa stimulation événementielle du désir d’achat : et après ? Quelle est sa vision de la société ? Consommer toujours plus pour moins cher ? On s’en lassera, comme on s’est lassé des faux concours des vépécistes et des pack promotionnels de 12 bouteilles de lait. Amazon ne paie quasiment pas d’impôt en France : à partir de quel moment son image souffrira-t-elle de ce manque de responsabilité sociale ? La SNCF pourra-t-elle longtemps justifier des écarts de prix importants sur le même trajet Paris-Marseille ? Les limites de la dématérialisation ne sont-elles pas déjà dépassées en matière de relation-client ?

 

Les marques low cost devront à leur tour relever les défis réservés aux marques qui ont traversé les époques : donner de plus en plus de gages, redistribuer d’autres avantages que le prix, délivrer des services qui facilitent la vie. Plus elles se positionneront sur un combat de société, plus elles auront de chance de se réinventer et de perdurer.