Comment LEGO a gagné la bataille de l’innovation face à PLAYMOBIL
En 2024, Lego avait un CA 20 fois supérieur à celui de Playmobil, contre x 4 en 2005. Comment Lego a-t-il gagné la bataille ?
Playmobil et Lego, des cousins germains dans le monde merveilleux des jouets ? La filiation semble évidente : de petits bonshommes en plastique aux sourires éternellement figés qui ont occupé tant de nos après-midi, à leur faire vivre des aventures extraordinaires. Pourtant, derrière cette ressemblance de façade, « cela reviendrait à comparer une Ferrari et une 2 Chevaux », plombe d’entrée Pierre-Louis Desprez, expert en imaginaire de marque au cabinet Kaos.
Fini les rêveries enfantines, place aux chiffres. En 2024, Playmobil a flirté avec les 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, quand Lego gravitait autour de 10 milliards. Un ordre de grandeur de 1 contre 20 qui, il y a vingt ans, variait déjà entre 4 et 5. Si nous étions alors trop innocents pour le comprendre, il n’y a donc en réalité jamais eu match. La comparaison est si déséquilibrée que deux experts du jouet ont préféré décliner nos interviews, disant ne pas vouloir tirer sur l’ambulance.
Flatter l’ego
On est donc beaucoup plus proche d’un massacre à la tronçonneuse que d’un duel entre preux chevaliers. Pierre-Louis Desprez se charge des prélèvements sanguins : « Contrairement aux apparences, Lego et Playmobil n’ont pas la même ADN. L’un joue sur la construction, l’autre sur les histoires », comme le veut son célèbre slogan. Une différence loin d’être anodine. La construction n’a pas d’âge et flatte toujours l’ego. Un quadragénaire sera satisfait d’avoir bâti son œuvre Lego, comme il est fier d’avoir monté son meuble Ikea ou d’avoir fait son pesto maison.
« Il n’y a pas de fierté avec Playmobil », souffle Pierre-Louis Desprez. L’aventure s’imagine en solitaire plus qu’elle ne s’exhibe. Et à supposer que vous jouiez encore aux Playmos, vous n’allez certainement pas raconter à vos collègues l’histoire du prince et de la princesse qui combattent le dragon que vous avez inventé ce week-end. Alors qu’exposer fièrement Notre-Dame de Paris et ses 4.383 briques, bien visible, là, sur l’étagère… En 2024, l’édifice religieux (229,99 euros tout de même) figurait dans le top 10 des ventes du géant danois.
Playmobil, en avant les déboires
L’an dernier, Lego a lancé 149 références pour adultes sur 850 au total, soit 18 % de son offre, contre 16 % en 2023. Avec la chute de la natalité et l’avènement des « kidults », les adultes se sont en effet emparés d’une bonne part du marché : 36 % des ventes de jouet en 2025 en France sont réalisées pour les plus de 18 ans. « Playmobil ne marche que chez les moins de 6 ans, quand Lego cartonne sur toutes les générations », résume Yves Cognard, président de l’institut d’études marketing Junior City.
Seconde brique sur le cercueil par Pierre-Louis Desprez : « Playmobil a fait un mauvais pari en s’imaginant être une marque générationnelle, qu’un parent achètera à son enfant en se rappelant quand lui-même y jouait ».
Mais même chez les petits, Playmobil s’est ringardisé. « C’est la vision lisse et anachronique de la famille allemande parfaite des années 1960. La petite fille blonde, le garçon brun, la maman et le papa heureux. Ça ne colle plus », poursuit l’expert en imaginaire. Yves Cognard le rappelle : dans le domaine de la figurine pour enfant, la marque a de plus en plus de concurrents, notamment au rayon féminin, là où Lego vogue presque seul.
« Et les univers cultes de la marque dans les années 1980 et 1990, comme le far-west ou les pirates, n’attirent plus les foules ». Cow-boys et Indiens ont quasiment disparu de la pop culture enfantine. Quant aux pirates, « s’ils font rêver, c’est plus sur du One Piece. Et Lego a la licence, pas Playmobil. », tranche Yves Cognard.
Lego, un succès brique par brique
Voilà qui explique cet écart qui grandit, selon le spécialiste du jouet. En 1999, Lego s’empare de sa première licence : Star Wars. Dès cette année-là, les ventes de la galaxie lointaine, très lointaine ont représenté un cinquième du total de tous les Legos. Depuis, le danois a enchaîné les mariages fructueux : Harry Potter, Pokémon, Minecraft, Marvel, Disney…
« Playmobil, qui voulait garder les aventures libres et pas dans des univers établis, s’est mis tard sur les licences, seulement en 2017. La plupart étaient déjà prises », explique Yves Cognard. A Lego Pokémon et Disney, à Playmobil Astérix et Scooby-Doo. Bon… Autre problème : « Avec le format de personnage Playmobil, vous pouvez faire tous les efforts du monde, Astérix ne ressemble pas à Astérix, pas plus que Scooby-Doo ne ressemble à Scooby-Doo. »
Manque d’imagination et lissage
Lego offre bien plus de possibilités créatives. « On peut tout inventer, tout mélanger avec les briques », s’enthousiasme Pierre-Louis Desprez. On y trouve aussi une plus grande palette d’émotions : des visages tristes, énervés…
Sans compter une variété accrue avec les licences : qui ne rêve pas de voir Harry Potter et Voldemort, chacun installé dans son vaisseau Star Wars, s’affronter dans l’Espace ? A l’inverse, « on aura plus de mal à faire cohabiter la supérette et le château fort chez Playmobil ». Mais que Playmo se console : « Lego n’a pas seulement écrasé Playmobil, il a écrasé tout le marché du jouet. »
Article publié par Jean-Loup Delmas, 20 Minutes, 06/12/2025 https://www.20minutes.fr/economie/4187873-20251206-creativite-licences-kidults-comment-lego-terrasse-rival-playmobil