Que pouvez-vous faire de génial pour les autres?
Un grand pays marque le monde. Et si on se demandait comment la France pourrait marquer le monde au lieu de chercher à la transformer en marque commerciale ? Rêvons d’une économie de la grandeur sans storytelling, plateforme de marque, promesse-client et autres valeurs toutes plus formidables les unes que les autres ! Et faisons partager ce rêve aux autres nations.
Chaque jour les constats sont de plus en plus affligeants : finance déréglée, destruction des écosystèmes, consommation irresponsable, obésité galopante, progression des solitudes, nouvelles corruptions, extension des violences etc. La planète humaine, naturelle, animale attend elle vraiment des marques-pays et des egos nationaux gonflés à bloc, avec en perspective de possibles nouveaux conflits d’intérêt ? Est-ce d’un récit économique dont la France a besoin comme le propose le rapport remis à Montebourg ou bien d’un projet marquant ? Au moment où les problèmes de notre monde sont devenus systémiques, la France doit-elle se vendre comme une marinière et trouver son identité mondiale dans le plus grand commun dénominateur qui relie ses marques de luxe et de mode ? Ce décalage entre le besoin et l’objectif est, au minimum, anachronique, si ce n’est une erreur d’appréciation de la situation.
Qu’il soit d’abord permis de douter que les marques commerciales aient besoin d’une marque-pays pour mieux vendre leurs produits et conquérir des clients. On peut même se demander si une marque-pays n’aggravera pas, par moment, les traits négatifs dont l’histoire a chargé chaque pays (duplicité de la Chine, arrogance de la France, rouleau-compresseur allemand, expansionnisme américain etc.) et ne desservira pas les entreprises dont plus d’une a laissé tomber depuis longtemps l’argument de l’origine nationale. En Asie Hermès ne vend pas la France mais sa vision singulière de la qualité, du cousu main et de l’artisanat. Adossée au légendaire art de vivre et à Versailles qui est présenté dans le rapport remis à Montebourg comme le premier cluster dans l’histoire du pays, la marque France court toujours le risque de passer pour hautaine et donneuse de leçons.
Il faudrait donc tirer parti du génie national autrement qu’en le réduisant à une marque commerciale. Comment ? En le mettant au service d’une grande cause planétaire et de besoins insatisfaits, ce qui, in fine, ne pourrait faire que du bien au PIB de la France. Ainsi, puisque le repas gastronomique des Français figure sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité dressée par l’UNESCO, la France pourrait se focaliser sur le problème de l’obésité dans le monde et sur la bonne façon de se nourrir. Ou d’une façon plus générale sur quelques grands problèmes de santé grâce à ses savoir-faire de pointe (oncologie par exemple). La France marquerait ainsi davantage son époque qu’avec ses produits iconiques qu’on aime bien, qui se vendent encore mais qui ne portent aucun projet d’avenir.
Cette marque France-là serait bienvenue d’inspirer les autres marques-pays. Que l’Angleterre invente une finance plus solidaire et un commerce plus équitable dont le monde entier pourrait profiter. Que les Etats-Unis imaginent une consommation plus responsable. Que les pays scandinaves imaginent des nouveaux écosystèmes plus symbiotiques. Que les pays d’Afrique deviennent une source d’inspiration pour recréer du lien familial et nous montrent qu’on peut vivre mieux avec moins. Que la Chine aide chaque pays à penser à 1.000 ans et non plus seulement au mois le mois en fonction de la courbe du chômage. Que le Japon se focalise sur la bonne gestion du milieu marin. Etc. Les défis à la hauteur des génies nationaux ne manquent pas. Et le pré-requis pour exister en tant que marque-pays ne serait plus la quantité de marques nationales existantes ni l’attractivité de leur secteur d’activité mais le talent et la créativité appliqués à des problèmes réels. Pour mémoire, rappelons que le micro-crédit qui s’est largement répandu dans le monde a été inventé au Pakistan et non pas par les grandes banques anglo-saxonnes. Ou encore que l’indice de bonheur national brut qui est aujourd’hui exploré par des économistes a été préconisé par le roi du Bhoutan et non pas par Coca Cola. Le génie d’une nation réside dans sa capacité à façonner utilement le monde : c’est là sa vraie ” marque “.
Doux rêve ? Rengaine d’alternatif ? Ni l’un ni l’autre. Le bien nommé concert des nations n’a jamais existé que sur le papier : c’est une idée encore neuve ! Que les pays se partagent les causes en fonction de leur tropisme, ce sera la meilleure promesse-client qu’ils pourront offrir. D’autant que les sujets d’intérêt planétaire ne manquent pas : consommation des classes moyennes, nouveaux transports, nouvelles énergies, nouvelles gouvernances supra-nationales etc.
Le choix d’une cause planétaire au niveau de chaque pays permettrait de parler de projet, d’intelligence collective, de futur désirable. Et susciterait vraisemblablement plus d’enthousiasme que l’actuelle marque France qui, il faut bien l’avouer, n’excite personne hormis des profs de marketing et quelques professionnels de la communication. Au lieu de titiller les mots pour remplir les cases d’une plateforme de marque qu’aucun Ministre du Marketing ne défendra, on pourrait faire en sorte que la marque France constitue une rupture et tienne un discours d’avenir profitable au monde entier.
” Qu’est-ce que vous pouvez faire de génial pour les gens ? ” demandait constamment Steve Jobs à ses équipes pour les pousser à innover. Qu’on se pose la même question : qu’est-ce que la France pourrait faire de génial pour la planète et comment pourrait-elle marquer de son empreinte le monde de demain ?