Quand le ciel devient le plus tragique endroit de la terre

Disparition du vol MH370 dans l’océan Indien, crash du MH17 en Ukraine, mise en examen d’un chef de cabine pour agression sexuelle sur une passagère lors du vol Kuala-Lumpur/Paris-Charles-de-Gaulle du 5 août 2014 : la Malaysia Airlines essuie la pire série de déboires qu’une compagnie d’aviation ait eu à subir en l’espace de quelques mois. L’impact financier de ces catastrophes sera très important, non seulement par rapport aux indemnisations des familles des victimes, mais aussi pour une raison qui ne figure dans aucun business plan d’aucune compagnie d’aviation ni aucune enquête de satisfaction-client : la perte de confiance des voyageurs et une mauvaise réputation.

 

Une étude réalisée par Kayak.fr sur les vols du mois de juin 2014 où le 13 tombait un vendredi a par exemple permis de constater qu’un voyageur achetant un billet d’avion le vendredi 13 juin 2014 pouvait économiser jusqu’à 26% par rapport aux autres journées de juin et gagner 12% par rapport aux trois autres vendredis de ce même mois. Le commerce aérien est sensible aux croyances superstitieuses des clients.

 

Face à un tel poids de l’irrationnel dans les décisions d’achat, il y a fort à parier que la Malaysia Airlines doive se lancer dans une politique de billets à prix cassés pour remplir ses avions et sortir de son précipice. Voilà comment on tombe dans la destruction de valeur du low cost… Sans oublier que cette série noire nuit à l’ensemble des compagnies d’aviation, la peur de l’avion n’ayant pas de frontière.

 

Ce contexte commercial et financier doit conduire la Malaysia Airlines à une décision qu’aucune entreprise ne prend à la légère : changer de nom de marque. Nom de mauvais augure, maudit, portant malheur, éveillant la peur du passager qui confie sa vie à un pilote et à un engin sur lesquels il n’a aucun pouvoir quelques heures durant : la marque Malaysia Airlines est morte, au bilan elle vaut zéro et même moins.

 

Pourquoi la Malaysia Airlines n’a-t-elle pas le choix de se rebaptiser? Son nom sera durablement associé à ces catastrophes renvoyant à l’une des émotions les plus incontrôlables : la peur. Décision évidement subie et non voulue : c’est ce qu’une entreprise, monde de la volonté et de la responsabilité, redoute le plus. Paradoxalement, changer de nom serait ici faire preuve de stratégie et non pas céder à la panique. Même si l’avion demeure le moyen de transport le plus sûr comparé aux autres modes de transport en fonction du nombre de kilomètres parcourus, les accidents d’avion sont les plus spectaculaires et les plus meurtriers. C’est surtout le moyen de transport qui génère le plus de réactions émotionnelles. Toutes les compagnies au monde le savent, puisque certaines d’entre elles, comme Air France, proposent des stages de “gestion de la peur en avion”.

 

La marque Malaysia Airlines est ici touchée au cœur de sa fonction : donner confiance aux clients. La compagnie aura beau prendre des décisions fonctionnelles, organisationnelles, structurelles, capitalistiques, cela ne suffira pas à calmer les superstitieux et les émotifs ni à remettre les mémoires à zéro.

 

Au-delà de ce cas, l’actualité nous rappelle que les marques sont mortelles. La tendance à dématérialiser la marque, à n’en faire qu’un actif financier qu’une bonne comm’ arrive à enrober en toutes circonstances est une croyance des Directions Générales et des marchés aussi forte que ne l’est la superstitution du vendredi 13. On peut toujours argumenter qu’un nom de marque se désémantise au fil du temps, que les marques sont des signes désincarnés, que les logos ne sont que des habillages esthétiques dans un environnement d’images, nos cerveaux ne l’entendent pas ainsi : nos émotions précèdent nos décisions et nos calculs du pour et du contre.

 

La marque Malaysia Airlines est aujourd’hui entourée de mauvaises histoires qui attaquent le cœur de métier de la compagnie et qui soulèvent, à tort ou à raison, la méfiance. C’est tout le contraire de ce à quoi doit servir un nom de marque.

 

Il ne suffira évidemment pas de changer de nom pour supprimer les possibilités de crash ou d’agression sexuelle en vol, mais bien faire son métier ne suffit pas non plus à se relever d’une série de catastrophes. Les marques ne sont pas des idées ni des valeurs, mais des représentations vivantes dans nos têtes.