La relation client, un axe d’innovation et de différenciation pour les entreprises

Les échos – supplément du 20/10/2010 sur la relation client
Pierre-Louis Desprez

La plupart des entreprises possèdent des services client structurés, organisés et souvent très efficaces. Comment expliquer cet intérêt croissant pour le client ?

Les entreprises s’intéressent d’autant plus à leurs clients que ces derniers ont le choix d’acheter ailleurs et dans de meilleures conditions ! Dans tous les secteurs d’activité, ils ont la possibilité de choisir entre plusieurs offres grâce au développement exponentiel des innovations. Dans la précédente version de son site Web, Voyages-sncf.com était allé jusqu’à proposer un comparateur de prix intégrant le coût en train, en avion et en… voiture, ce qui n’était pas une absurdité quand on voit les véhicules actuels (confort, sécurité, système de navigation, équipement audio, etc.) et les efforts des distributeurs de carburant pour fidéliser leurs clients (prépayé, bonus, etc.). Pour les entreprises, une bonne relation client sert le compte d’exploitation. On sait par exemple que fidéliser coûte en général moins cher que de conquérir de nouveaux clients. Pour un grand magasin, dans un contexte de crise où la consommation compulsive marque le pas, mieux convertir le taux de fréquentation en taux d’achat et augmenter le panier moyen devient une priorité. Les clients ont donc compris qu’ils constituent l’un des actifs des entreprises. Ils disposent ainsi d’une arme redoutable pour le rappeler à celles qui l’oublieraient : leur infidélité… Un automobiliste peut établir un devis en ligne pour connaître le montant d’une prime d’assurance. Il suffit de faire une demande en tant que nouveau client et une autre en tant qu’ancien client pour voir un écart de prix défavorable… aux clients fidèles. Ces derniers sont en droit d’estimer que leur fidélité est bien mal récompensée ! D’où l’idée qu’ont eue certains assureurs d’offrir de nouveaux avantages réservés aux fidèles (déplafonnement du bonus, services spécifiques, tarif familial, etc.). Enfin, dernier facteur explicatif : les clients voyagent et constatent des écarts entre les cultures nationales. L’Asie ou les Etats-Unis ont une tradition culturelle du service nettement meilleure qu’en Europe car ces sociétés sont fondées sur un rapport à l’autre très différent. En rentrant chez soi, on ne supporte plus d’être snobé par un vendeur ou une vendeuse !

Qu’attend ce nouveau client ? Souhaite-t-il avant tout un bénéfice prix ?

Le prix fait partie de la relation client ! Et les clients continueront de demander le meilleur prix ! Ils peuvent ainsi se contenter d’une relation client insatisfaisante sur certains critères quand l’offre prix est imbattable. Myfab et Ventes-privées, dont les tarifs défient toute concurrence, ne s’embarrassent pas d’une relation client coûteuse, puisque, en moyenne, les clients de ces deux enseignes sont capables d’attendre plusieurs semaines pour être livrés. Mais quand l’offre est pléthorique, comme dans la distribution alimentaire, la relation client redevient un moyen de créer une différenciation. C’est ce que fait Monoprix dans ses magasins de centre-ville : plages horaires élargies, livraison, commande sur le Web, marques propres de qualité, etc. Pour entretenir de façon durable son avantage compétitif, je conseillerais à toute entreprise de chercher à combiner attractivité du prix et qualité de la relation client, comme le fait Decathlon. En proposant une offre avec une grande amplitude de prix (des Produits Bleus jusqu’aux produits « premium ») et en mettant face aux clients des vendeurs qui pratiquent le sport du rayon où ils travaillent, Decathlon établit une relation client basée sur la connivence et le partage d’une passion.

Comment les entreprises peuvent-elles répondre aux besoins de chaque client ?

Elles doivent décider que la relation client est un axe d’innovation au même titre que la recherche de nouveaux produits et la R&D et non pas une modalité de la vente. Parmi les meilleures pratiques que j’ai vues dans les entreprises tournées vers la satisfaction de leurs clients, j’en relèverai principalement trois. D’abord, se mettre à la place des clients et des non-clients. Chez Disney, où l’on peut attendre deux heures devant une attraction, des spectacles ont été spécialement conçus pour divertir les clients dans les files d’attente. Le problème client est devenu une occasion d’imaginer une solution client créative. Ensuite, je conseille toujours de regarder ailleurs que dans l’industrie à laquelle l’entreprise appartient. Les boutiques Apple ne ressemblent pas aux autres magasins de matériel informatique, mais plutôt à des showrooms où le design est une priorité. Quand les vendeurs d’Abercrombie & Fitch à Londres dansent en vendant des tee-shirts comme s’ils servaient des cocktails dans une boîte de nuit, ils sont en osmose avec leurs jeunes clients. Enfin, il faut segmenter les clients. « Le » client n’existe pas, il vaut mieux parler « des » clients. Cela signifie qu’il faut plusieurs types de relation client et arrêter de « moyenniser ».

Aujourd’hui, à quoi reconnaît-on une relation client réussie ?

Quand le client a envie de revenir ! Quand il en parle dans son entourage ! Quand il fait un détour avant de rentrer chez lui pour faire un achat alors qu’il pourrait trouver le même objet plus près. Quand le responsable du site Web s’est mis à sa place pour passer commande. Quand les vendeurs restent serviables même quand ils sont fatigués. Quand le « call center » prend un appel jusqu’à la dernière minute. Quand un vendeur n’explique pas qu’il a raison et au client qu’il a tort et qu’il trouve des mots simples pour l’accompagner dans un achat parfois compliqué !

Pensez-vous qu’il est aujourd’hui possible pour une entreprise de se passer d’une relation client structurée ?

Le niveau de relation client dépend du modèle économique. Ikea fait travailler ses clients (prendre la marchandise dans le stock, transporter, monter soi-même le meuble) et personne ne s’en plaint, car cela fait partie de la promesse initiale à côté du prix accessible. En revanche, si un opérateur de téléphonie mobile n’aide pas son client à utiliser son nouveau « smartphone », qui a coûté plusieurs centaines d’euros, et qu’il le renvoie vers le conseiller virtuel du site Web, il sabote sa relation client.

D’une manière plus générale, je conseille toujours à une entreprise de se demander ce qu’elle entend par « relation réussie » avec ses clients : quels sont les standards en vigueur sur son marché, quelles bonnes pratiques elle a vues ailleurs que sur son marché, quelles différences marquantes elle pourrait imaginer et comment elle peut répercuter une partie des avantages client sur ses prix.

En tout cas, une relation client n’est pas faite d’exploits que seules quelques marques de luxe, par exemple, peuvent offrir. Souvent les petits gestes pertinents au bon moment suffisent, ce qui suppose d’être à l’écoute, d’avoir une liberté d’action et de pouvoir vraiment faire appel à sa créativité.

PROPOS RECUEILLIS PAR VALERIE FROGER

http://www.lesechos.fr/supplement20101020/sup_special_relation_client/020857338884.htm