Le business jusque dans l’au-delà : les animaux de compagnie

Des funérailles dédiées, payées plusieurs centaines d’euros : pour accompagner chats et chiens dans la mort, leurs propriétaires ne regardent plus à la dépense. Et tout un secteur se développe pour satisfaire leurs demandes.

Flocon est mort prématurément à l’âge de quatre ans, et la demeure de Laurie semble désormais bien vide sans ce feu follet qui gambadait dans les couloirs. Ultime hommage à cette boule de poils hyper-active, une urne pleine de ses cendres trône désormais sur la cheminée, à côté de celle du mari, lui aussi parti trop tôt. N’en doutez pas, Flocon n’était bien évidemment que le chat de la maisonnée. « C’était un membre de la famille à part entière », précise Laurie, qui n’aurait pas envisagé une autre manière de lui dire au revoir. « Ce n’est pas grand-chose pour avoir un souvenir de Flocon. Je voulais garder un objet physique qui me rappelle sa présence », poursuit-elle, en prévention d’un éventuel procès en bizarrerie.

Bizarre, vraiment ? Plus tant que ça. Sur les 67 millions d’animaux de compagnie détenus par les Français, 1,6 million décèdent chaque année. Et l’époque où Médor se retrouvait jeté dans un trou du jardin, après trois coups de pelle, est révolue. Aujourd’hui, seuls un gros tiers des Français choisiraient une telle option en cas décès de leur animal domestique, selon une étude menée en 2022 par le réseau spécialisé Esthima, avec le portail en ligne Woopets. Alors qu’il est interdit, sous peine d’amende, de se débarrasser de la dépouille dans la nature ou dans une poubelle, un autre tiers de ces maîtres s’en remettrait plutôt à un vétérinaire. Et pas moins de 20% d’entre eux accepteraient de payer pour un service de pompes funèbres. Un choix pas si étonnant. « Notre rapport à l’animal vit une évolution incontestable depuis quelques années », rappelle Laurence Paoli, une consultante fondatrice de l’institut Unlimited Nature, et autrice de Quand les animaux nous font du bien. Craintes d’une extinction des espèces, diffusion du véganisme, activisme des associations de défense des animaux : les débats sur la question se multiplient, parfois jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale. Et la tendance est encore plus prononcée dans le cas des animaux de compagnie. « Nous nous sommes coupés de la nature, et, à l’exception des habitants des campagnes, nous ne voyons pratiquement plus d’animaux. Dans ce monde toujours plus virtuel, où la solitude urbaine a raréfié le contact et le charnel, les compagnons domestiques sont beaucoup plus considérés qu’auparavant, et aident à compenser ces manques sociaux », décrypte Audrey Jougla, professeur de philosophie spécialisée dans le rapport à l’animal. Ce changement de perception se fait ressentir jusque dans la mort. « L’animal de compagnie est devenu un membre de la famille. Et on ne jette pas à la poubelle le corps d’un membre de la famille », résume Laurence Paoli. Alors que selon un sondage Ifop de novembre 2022, les Français sont prêts à dépenser un millier d’euros par an pour leurs petites bêtes (une somme en constante augmentation), faire de leur mort un business n’est donc plus tabou. « Il ne s’agit plus seulement de les nourrir, mais de leur offrir des services, des soins, une vie la plus saine et la meilleure possible », complète Pierre-Louis Desprez, directeur général de Kaos, un cabinet spécialisé en innovation et en marques.

Parmi toutes les options disponibles pour conduire ces petits compagnons jusque dans l’au-delà, l’urne reste la plus consensuelle. Près de 17% des Français ayant perdu un animal de compagnie en possèdent une, selon l’étude Esthima-Woopets. Il faut dire que les infrastructures dédiées se développent : le leader du marché, Veternity, justement connu sous le nom commercial d’Esthima, compte ainsi 16 crématoriums à travers le pays, auxquels s’ajoutent quatre agences funéraires. Au Havre, depuis début 2023, il est même possible de disperser gratuitement les cendres de son animal dans un jardin créé par la ville, et d’acheter en complément une plaque de mémoire. Bien sûr, rien n’empêche d’enterrer son animal dans un cimetière prévu à cet effet. On en compte déjà une trentaine à travers le pays, ouverts tous les jours, même le dimanche. Pas si différent finalement des humains, d’autant que linceul, housse ou cercueil sont aussi disponibles. Mais la similitude s’arrête là. « Nous ne prévoyons pas de rites funéraires, nous devons nous distinguer des cimetières humains », indique Anaelle Chantelou, gérante du Paradis des Animaux, un prestataire qui se propose d’accompagner l’animal, dans sa vie mais aussi dans l’au-delà. Près de 2% des propriétaires d’animaux optent pour cette solution de l’enterrement, envisageable quelle que soit l’animal concerné, ou presque. « On n’accepte pas de trop gros animaux comme les chevaux et la plupart du temps, il s’agit quand même de chats et de chiens. Mais on voit aussi parfois des poules ou des perruches… », complète Anaelle Chantelou, qui accueille une vingtaine de dépouilles par mois.

A l’image des dépenses en cours de vie, le budget à débourser pour de telles obsèques n’est pas négligeable. « Tout le marché des animaux monte en gamme », rappelle François Lévêque, professeur d’économie à Mine-Paris Tech. Dans le cas d’une incinération, il faut prévoir aux alentours de 200 euros si l’accompagnement est complet, et inclut donc l’enlèvement puis le transport de la dépouille. Mais la note peut grimper à 300 euros, dans le cas d’une crémation individuelle d’un grand chien. Il est possible, en complément, d’acheter des urnes individuelles, celles pour un chien coûtant de 50 à 250 euros, tandis que celles prévues pour les chats sont tout juste moins chères (de 30 à 200 euros). Côté inhumation, il faut compter une centaine d’euros pour les prestations de base, auxquels ajouter une vingtaine d’euros pour le linceul, de 120 à 250 euros pour le cercueil, selon la taille et le poids du défunt, sans oublier une trentaine d’euros pour une plaque commémorative. Dans les cimetières les plus récents, comme ceux de Châteauroux et de Roanne, respectivement ouverts en 2021 et 2022, il faut ensuite prévoir 300 euros pour une concession sur dix ans. Mais certains lieux de repos se payent plus cher. Comme le cimetière animalier d’Asnières-sur-Seine, le plus ancien au monde, ouvert en 1899. Pour la plus petite des sépultures, comptez aux alentours de 1000 euros, auxquels ajouter le coût de la concession, les frais d’inhumation et le monument funéraire en lui-même. « Les tarifs de telles prestations devraient toutefois baisser », estime François Levêque. Notamment sous l’effet de la concurrence, croissante dans le secteur. Attention toutefois car, contrairement au marché funéraire humain, aucune régulation ne vient encadrer ces prestations dédiées aux animaux. « Or, dans l’émotion de la perte d’un compagnon, tomber dans une arnaque reste possible », rappelle le François Lévêque. Voilà qui serait un comble, sur un tel marché… de niche.

Article publié par Jean-Loup Delmas, Capital, 09/03/2024, https://www.capital.fr/entreprises-marches/chiens-et-chats-decouvrez-combien-leurs-maitres-depensent-pour-les-enterrer-ou-les-incinerer-1493333