Le Tour de France, marque humaine inoxydable
Le Tour de France, marque humaine, non digitale, est inoxydable, malgré le déclassement d’Armstrong.
La radiation à vie d’Armstrong et l’annulation de ses 7 victoires au Tour de France par l’USADA, l’agence américaine antidopage, n’entameront pas la légende du Tour de France qui, plus qu’un événement mondial, est devenue une marque mythique.
On pourrait s’attendre à ce que les affaires de dopage à répétition au Tour de France finissent par décrédibiliser cette compétition et ruinent sa réputation. Pourtant, si on en juge par l’audience média (le premier événement planétaire en termes de couverture média après la finale de la coupe du monde de football), par les foules qui figurent sur le bord des routes, par le poids grandissant du sponsoring des marques (37 marques présentes dans la Caravane du Tour en 2012), c’est même le contraire qui se produit. La participation de coureurs de nouvelles nationalités (Biélorussie, Pays baltes, Australie, Asiatiques, etc.) manifeste un désir planétaire de participation : le Tour de France, depuis longtemps, est une vitrine de la mondialisation du moment. A quoi cela tient-il ?
La course est très vite devenue un événement qui est lui-même devenu une marque : le Tour de France, né en 1903, sur l’idée d’un titre de presse écrite (“L’Auto”), appartient à la catégorie des marques soutenues par une forte médiatisation, comme Disney, Roland Garros, le Festival de Cannes etc. Trois raisons expliquent la construction de cette marque légendaire : l’ancienneté de l’événement (une pérennité supérieure au siècle est suffisamment rare pour être soulignée), son rituel dramaturgique (une compétition qui dure 3 semaines, chaque année à la même période, et se conclut aux Champs-Élysées, comme un opéra de Mozart qu’on joue rituellement à Salzburg ou du Wagner à Bayreuth), sa dimension mythique (des champions qui s’affrontent sur plusieurs milliers de kilomètres à une vitesse horaire incroyable comme les héros des mythologies dans des guerres sans fin). L’événement se nourrit d’un comportement archaïque, la compétition humaine – compétition individuelle (les coureurs), collective (les équipes) et nationale (les nationalités des coureurs). La marque « Tour de France » réunit tous les ingrédients pour être inoxydable. Elle appartient au patrimoine émotionnel mondial et sert d’emblème à la France, pays de « passions » et de « controverses » pour reprendre ce que dit de nous avec justesse l’Anglais Theodor Zeldin. Dans ces conditions, comment de viles affaires de dopage, même récurrentes, pourraient entamer un mythe aussi puissant ?
Tout le monde sait que le dopage est monnaie courante sur la Grande Boucle. Là, comme dans les autres sports d’ailleurs, c’est un secret de Polichinelle. Mais chacun préfère croire à ce qu’il voit. C’est le propre du mythe : c’est faux, on le sait, mais il nous plaît de faire comme s’il était vrai. On est informé depuis Antoine Blondin (années 1920) sur toutes les substances pour duper le gendarme du Tour. L’ancien médecin du Tour, Jean-Pierre de Mondenard, a tout dit sur le sujet du dopage dans tous les sports, mais on préfère suivre son cœur quand un héros passe le grand plateau pendant la montée du Ventoux. Voilà pourquoi le Tour est une vraie marque légendaire : moitié rationnelle, moitié émotionnelle, subtil mélange de faits objectifs et de moments d’admiration, addition de stratégies sur papier et de surprises dignes du théâtre antique, défaites logiques et victoires inattendues etc.
Quand bien même les dieux du bitume consommeraient du nectar et de l’ambroisie comme leurs ascendants sur l’Olympe pour nous étonner un peu plus encore, qu’importe, pourvu que l’ivresse soit partagée ! Une vraie légende doit même détruire régulièrement ses protagonistes, sinon on en reste au stade des simples humains, si banals… Paradoxalement, la décision de l’agence américaine d’antidopage, qu’elle soit confirmée ou non par l’Union Cycliste Internationale, renforce encore la marque qui porte au pinacle des gens sortis de nulle part et les renvoie régulièrement aux enfers. L’attractivité de la marque Tour de France passe aussi par cette réputation sulfureuse. Armstrong restera dans les tablettes du Tour, même si le gendarme l’a rattrapé plus de dix ans après ses exploits.