Les Français achètent de la confiance
Article JDD du 22 mars 2015 | Pascale Caussat
Au-delà du slogan, le made in France a-t-il une réalité concrète pour les consommateurs français ? Intitulée « L’Attachement des Français au made in France », l’étude du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), parue en novembre 2014 et portant sur 2.000 personnes, montre que 50 % des Français privilégient les produits fabriqués en France dans leurs achats, et surtout que 60 % d’entre eux sont prêts à payer plus cher cette origine. Ils étaient 39 % en 1997. L’effort doit rester mesuré : au-delà de 10 % de plus sur l’étiquette, ça décroche. Les bas revenus sont aussi moins enclins qu’il y a quatre ans à pratiquer le patriotisme économique. « En période de crise, il y a une demande sociale pour le made in France, parce qu’on considère qu’il est un gage de qualité et qu’il permet de protéger les emplois, y compris le sien et celui de ses proches, souligne Jörg Müller, chercheur au Crédoc. Dans le détail, cela concerne surtout l’alimentaire, plus accessible que l’électroménager ou l’automobile. »
Sauver des emplois
Fabienne Delahaye a elle aussi noté l’intérêt croissant des Français pour la question. En 2012, la première édition du Salon des produits et innovations made in France, dont elle est commissaire générale, a attiré 15.000 personnes, et 35.000 en 2014 : « 80 % des visiteurs repartent avec un panier moyen de 70 €, précise-t-elle. Ils savent que, par leur action, ils peuvent sauver des emplois. Le frein principal vient de la grande distribution, qui préfère référencer des produits à plus forte marge. » Des exemples montrent que le consommateur est prêt à investir dans la qualité. Virginie Le Guern Gilbert dirige l’entreprise familiale Mauviel 1830, qui équipe les tables étoilées avec des poêles multicouches inox à 160 € pièce : « Quand on explique qu’elles sont fabriquées à la main en Normandie selon un savoir-faire acquis et transmis depuis deux cents ans et qu’elles sont garanties à vie, le grand public trouve que ce n’est pas si cher par rapport à des ustensiles qu’il faut changer tous les ans. » Président de la société de sécurité Lifebox, François de Lacvivier a, lui, choisi de ne pas répercuter sur le consommateur le surcoût de ses détecteurs de fumée made in France. « Après le retrait de 35.000 détecteurs non conformes fabriqués en Chine, qui m’a coûté 1 million d’euros, j’ai décidé de tout rapatrier en France : la recherche, la conception, la fabrication et la certification. En revanche, je considère que l’on n’a pas à demander aux gens d’acheter français par solidarité. Les consommateurs cherchent d’abord des produits de qualité, la sauvegarde des emplois vient en conséquence. Je fais moins de marge avec un prix de revient plus élevé que je compense par de forts volumes. Nous sommes numéro 1 du marché, nous avons triplé notre chiffre d’affaires en deux ans et ouvert deux usines, nous sommes labellisés Origine France garantie, au même prix que la concurrence. »
S’offrir de la qualité
Difficile de convaincre durablement les consommateurs en jouant sur le seul argument de l’emploi, au risque d’entretenir un complexe bien français. Dans l’étude du Crédoc, « le tiers des personnes interrogées pensent que les Allemands sont plus patriotes qu’eux dans leurs achats mais ce n’est pas avéré. Le label made in Germany est avant tout destiné à l’export », souligne Jörg Müller (lui-même autrichien). Pour s’imposer, le made in France doit aussi jouer sur d’autres ressorts : qualité, proximité, traçabilité… « Personne n’achète une voiture allemande parce qu’elle est allemande mais parce qu’elle est fiable, renchérit Pierre-Louis Desprez, associé du cabinet Kaos Consulting spécialisé dans l’innovation. Le discours patriotique a une vocation thérapeutique pour redonner confiance aux Français. Mais dans la compétition mondiale, le combat n’est pas là. Entre le français Ibis et l’américain Airbnb, l’enjeu n’est pas de revendiquer une origine mais de proposer le service hôtelier le plus adapté. »