Pistorius, la killing idea de NIKE
NIKE pouvait-il éviter de jouer à la roulette russe avec sa marque en sponsorisant Pistorius? Le choix d’une égérie autour de laquelle on tisse une histoire destinée à impressionner n’est pas une garantie d’image pour une marque. NIKE est en train d’en faire l’expérience avec l’affaire d’Oscar Pistorius inculpé pour le meurtre de sa compagne.
Sur papier, tout était impeccable: un champion amputé des deux jambes, symbolisant le dépassement de soi, voire le surpassement. Et au-delà de l’impressionnant palmarès sportif, une réputation mondiale: pour Time Magazine Pistorius inspirait la planète (“he is the definition of global inspiration“), comme si son handicap physique augmentait ses vertus et son exemplarité. Continuons dans l’univers du papier glacé: Oscar a été sacré en 2011 l’homme le plus élégant par le magazine de mode GQ. Côté réputation, Blade Runner semblait le surnom rêvé pour qualifier ce transhumain. Mental hors du commun, handicapé courant dans la catégorie des champions valides, citoyen d’un pays en quête d’une reconnaissance mondiale depuis son abolition de l’apartheid et utilisant le sport comme levier de crédibilité (entre autres le rugby), élégance fashion, compagnon d’un mannequin de mode, que d’aspérités pour un storytelling! Quelle marque de sport aurait hésité à devenir le sponsor d’un sportif incarnant à ce point l’idéal de Pierre de Coubertin – plus vite, plus haut, plus fort?
Le rêve s’est effondré après le meurtre dont Pistorius est inculpé. NIKE a aussitôt retiré son slogan publicitaire de l’affiche qui figure encore sur le site web de Pistorius. “I’m the bullet in the chamber. Just do it.” Je suis la balle dans le canon: NIKE pouvait-il imaginer, dans le pire scénario-catatsrophe, que la métaphore deviendrait réalité?
Pour la gestion de la marque, se débarrasser de cette métaphore meurtrière était la meilleure décision, d’autant que NIKE a récemment défrayé la chronique avec son soutien un peu trop inconditionnel à Armstrong. Mais si NIKE a lâché Pistorius, c’est donc que son slogan publicitaire n’était pas anodin? Que les mots ne sont pas que des mots? Que l’imaginaire n’est pas une simple fiction? Intéressant…. De nombreuses marques profiteront de ce fait divers pour réfléchir au jeu dangereux auquel elles se livrent parfois, sachant que l’histoire peut se répéter.
Les images ne sont donc pas anodines, non! Qu’elles soient photographiques, filmées ou textuelles par le biais des métaphores, les images marquent plus les esprits que les démonstrations rationnelles et logiques. Raison pour laquelle les entreprises dotent leurs marques de stratégies d’image. Nous avons tous besoin de croire à des histoires pour mieux vivre notre finitude. Demain sera meilleur, comme à la fin des mythes et des contes pour enfants. Ou pire, selon l’histoire à laquelle on décide d’adhérer. Les sages regrettent depuis longtemps cette faiblesse commune, mais l’alternative de la tête froide et de la raison calme n’a jamais fait recette. Nous sommes gouvernés par nos émotions, au plus profond de nos décisions. Pourquoi? Pour trouver quelques réponses Il faudrait se tourner vers l’histoire des cultures et la psychanalyse. Ou vers la philosophie, avec Aristote par exemple qui écrivait qu’aller au théâtre est un moyen de brûler nos mauvaises passions. Assurément, mieux vaut voir des crimes sur scène que d’en commettre chez soi…
Notre terreau émotionnel est donc très favorable pour la construction des métaphores publicitaires. Comparer un athlète à une balle pour évoquer la vitesse, la puissance, le mental d’acier et la volonté de gagner contre les concurrents semble pertinent. Surtout quand le sportif en question est une vraie tuerie sur un stade… Il est tentant de représenter les grands champions comme des mutants surpassant l’espèce humaine ordinaire. Il n’en reste pas moins vrai qu’une marque est l’auteur de ses images. Si une marque ne peut prévoir la folie meurtrière d’un individu, elle est responsable des métaphores et des histoires qu’elle choisit. D’où la décision de NIKE, qui a quand même payé pour voir.
La question de fond reste entière: est-il pertinent pour les marques de choisir des imaginaires meurtriers et ostensiblement violents? Derrière cette question on découvre une addiction contemporaine à laquelle de nombreuses marques cèdent: le culte de la surprise, dans un jeu de surenchère permanent, au risque d’être rattrapées par le réel. La régression vers les forces obscures de l’humanité a ses limites.
Conclusion? Il y a des images et des mots qui tuent. A ne pas utiliser quand on se veut une… lovebrand.