Sex-toys, roman, cabaret… Comment Clara Morgane est devenue une marque chic ?
« Ne m’appelez pas Emmanuelle »•L’ex-actrice X sort son premier roman, « Ne m’appelez pas Emmanuelle », ce jeudi. Une nouvelle pierre dans l’empire économique que Clara Morgane s’est construit au fil des ans
L’essentiel
Ce jeudi, Clara Morgane sort son premier roman : Ne m’appelez pas Emmanuelle (Ed. Recamier).
Une nouvelle facette de l’artiste, qui s’est bâtie au fil des années un empire économique, vendant des produits très divers sur son nom.
Mais comment l’ex-actrice de film X est-elle devenue une marque ? Et (encore plus fort) une marque à succès ?
Voilà déjà longtemps que Clara Morgane a troqué le X pour les €. Car aussi médiatique fut-elle, sa carrière d’actrice de films pornographiques n’a duré que deux petites années – entre 2000 et 2002. Certes, le côté olé olé a été prolongé via son poste d’animatrice du Journal du hard sur Canal+ jusqu’en 2008. Il n’empêche, nous voici seize ans plus tard, et son nom suffit encore amplement à faire vendre.
A partir de 2003, la star lance son calendrier annuel – qu’elle dit vendre chaque année à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires – ainsi que sa première société, Péché Média Capital (PMC). Dès 2005, elle se lance dans la vente de sa propre lingerie. La décennie 2010 voit la sortie des cahiers de vacances Clara Morgane, « des devoirs de vacances pour adulte ». En 2016, elle crée son propre cabaret, qui propose régulièrement des tournées dans toute la France. 2017, un champagne à son nom sort, en collaboration avec la maison Charles de Cazanove. La même année, l’égérie fusionne ses différentes sociétés en Clara Morgane Store, une boutique en ligne. Sans compter trois albums musicaux. Et depuis ce jeudi, il y a Clara Morgane l’écrivaine. L’artiste sort son premier roman, Ne m’appelez pas Emmanuelle (Ed. Recamier), un livre de développement personnel.
« C’est clairement un name-dropping réussi, s’enthousiasme Sandrine Doppler, consultante en marketing. Elle est arrivée à garder l’image du frisson érotique sans être relié à de la vulgarité. » Un cas pas unique en France, rappelle Pierre-Louis Desprez, dirigeant de Kaos Consulting et spécialiste en imaginaire de marques, citant notamment Brigitte Lahaie, ex-star du X devenue animatrice radio. « Mais Clara Morgane est celle qui a le mieux réussi cette incarnation ». Léa Riposa, consultante en marketing et en communication, voit dans ce succès l’application de plusieurs grands principes de vente de Steve Jobs (Les secrets d’innovation de Steve Jobs : 7 principes pour penser autrement ; Carmi Gallo, 2014). Commençons par les trois premiers piliers : « Elle fait ce qu’elle aime ; elle l’incarne ; et elle vend du rêve, pas des produits. »
De l’érotisme glam-chic et pas trop choc
Quatrième grand principe : ouvrir une brèche. En ce qui concerne Clara Morgane, le changement de paradigme est facile à identifier aux yeux de Léa Riposa : « Rendre la pornographie moins honteuse. » La star surfe sur une tendance mondiale – « le glam chic du sexe » pour Sandrine Doppler, « le porn soft » pour Pierre-Louis Desprez – choisissez l’expression qui vous parle le plus. Dans la même veine, citons entre autres la série Sex and the City, la « new romance », littérature érotico-soft pour adolescentes, et le phénomène Cinquante nuances de Grey – une série de livres se présentant comme des sommets de cul BDSM mais restant quand même relativement sobre. Et tout comme vous avez forcément, dans votre entourage, une proche qui avait ce livre en évidence dans sa bibliothèque sans s’en cacher, « on peut s’afficher avec du Clara Morgane sans honte ou sans passer pour un gros dégueulasse, explique le directeur de Kaos. C’est du cul politiquement correct. »
La native de Marseille a pris ce tournant dès le début de sa carrière. Pierre-Louis Desprez développe : « Elle se revendique notamment exhibitionnisme, soit celle qui montre ce que les autres ne montrent pas. Et donc par extension dit ce que les autres ne disent pas. Il y a un côté irrévérencieux à moindres frais. Les frasques ne sont jamais dans l’excès, mais pas non plus édulcorées. Elle est toujours sur une ligne de crête. »
Le phénomène Caprice des dieux
Conséquence de cet équilibre délicat, « il y a dans les produits Clara Morgane un côté ”comment pimper ton couple”, qui permet une audience chez les hommes et chez les femmes, poursuit Sandrine Doppler. Par ce prisme, les clients veulent bien s’associer à elle et les produits peuvent capitaliser sur sa notoriété de sexe élégant haut de gamme. »
Car c’est bien connu, « les marchés de masse n’aiment pas les produits trop fort », relance Pierre-Louis Desprez, citant l’exemple du Caprice des dieux, fromage le plus vendu en France (et même deuxième produit alimentaire derrière l’indémodable pot de Nutella). « Le goût n’est pas typé, pas marqué, mais c’est bon. C’est pareil avec Clara Morgane : c’est libertaire mais ça reste aussi dans les clous ».
« Une femme qui dépasse sa condition »
Année après année, l’artiste développe son empire économique. « Elle surfe sur le bien-être et la mode, deux grosses tendances actuelles », développe Léa Riposa. Pour Sandrine Doppler, « Elle s’est non seulement construit une image de marque, mais de marque chic ». nouvelle étape donc avec le développement personnel, autre grande tendance de l’époque. Et là encore, le storytelling fait sens : « La vie intime, c’est aussi du développement personnel », précise l’experte marketing. « Dans ses interviews, elle raconte qu’elle était introvertie et que ses films l’ont aidé à dépasser cela. Elle est tout à fait légitime pour du développement personnel. » Même admiration chez Léa Riposa : « Il y a la dimension d’une femme qui lutte pour surpasser sa condition qui sera assez parlante pour tout une clientèle, un côté féministe aussi. »
Alors, Clara Morgane, un bon business-model ? Sandrine Doppler conclut : « Elle a transformé sa notoriété en économie, en influence et en partenariat. Quand on arrive à faire des pivots alors que ce n’est pas gagné, il faut juste dire bravo. »
Article publié le 24/10/2024 par Jean-Loup Delmas dans 20 Minutes, https://www.20minutes.fr/economie/4115989-20241024-cul-politiquement-correct-sex-toys-roman-cabaret-comment-clara-morgane-devenue-marque-chic