Le personnage de la grand-mère, nouveau repère durable dans un monde qui n’arrive pas à renoncer aux plaisirs carbonés?
On n’en finit plus de sacraliser le passé. Nos grands-mères n’avaient pas compris les signes précurseurs du réchauffement climatique mais elles vivaient durablement.
“Dimanche 5 mars, c’est la fête des grands-mères. Au sein de la famille, elles représentent l’ancienne génération, qui semble bien plus capable de relever les enjeux écologiques d’aujourd’hui. Les mamies du XXIe siècle véhiculent des valeurs d’authenticité, de sobriété, de « faire soi-même », qui résonnent fort à l’heure de l’urgence environnementale.
La fête des grands-mères a lieu dimanche 5 mars. À l’origine, cette fête est commerciale : on la doit à la marque de café Grand’Mère, dont la première édition remonte à 1987. Trente-cinq ans plus tard, la figure de la grand-mère a plus que jamais le vent en poupe. Sur TikTok, le réseau social préféré des jeunes, les mamies rencontrent beaucoup de succès avec leurs « astuces de grands-mères ». Pulls tricotés main, cuisine comme chez mémé… Dans les secteurs de l’alimentaire ou de l’habillement, le savoir-faire des grands-mères est souvent un argument de vente volontiers mis en avant.
« Sur le plan du marketing, qui a besoin d’images pour vendre, on peut dire que le personnage de la grand-mère incarne des valeurs que nous devrions adopter le plus vite possible vu l’état de la planète », explique Pierre-Louis Desprez, directeur général de Kaos Consulting, cabinet spécialisé en innovation et en marques. En plus, « la grand-mère, au sein de la famille, a une image qui pacifie les relations », ajoute-t-il. « Elle incarne l’authenticité, le bon sens, le bon vieux temps et la tolérance. » Les grands-mères ont décidément tout pour plaire… Au-delà du marketing, pourquoi les mamies d’aujourd’hui ont-elles autant la cote ? Et que pouvons-nous apprendre d’elles ?
Nos grands-mères, écoresponsables sans le savoir
Écologie, sobriété, recyclage, localisme… Ces injonctions et aspirations que de plus en plus de Français cherchent aujourd’hui à mettre en pratique, pour le bien de la planète comme pour des raisons économiques dans un contexte d’inflation, faisaient partie du quotidien de nos grands-mères ou arrière-grands-mères.
« Née au début du XXe siècle, ma grand-mère cuisinait des plats qui mijotaient longtemps, à petit feu, fabriqués à partir de produits sains et choisis, avec beaucoup de légumes, des viandes bon marché, se souvient Christine Castelain Meunier, sociologue au CNRS et co-autrice de Devenir écoféministe aux Éditions de Boeck. Elle allait chercher près de chez elle des produits de saison, à pied, avec son cabas. Dans son jardin, elle cueillait des feuilles de tilleul pour les tisanes, faisait de la gelée de coings, le tout conservé au garde-manger… » Un condensé de bonnes pratiques individuelles respectueuses de l’environnement.
Ces grands-mères tricotaient, rapiéçaient aussi les vêtements. « On ne jetait rien, on recyclait. On transformait. On était à l’économie, dans le prévisionnel, afin d’assurer le quotidien avec peu. Un héritage de la guerre sûrement », poursuit la sociologue.
« Sans le savoir, elles avaient tout compris au développement durable »
Ces grands-mères – élevées par des femmes nées à la fin du XIXe siècle, dont les mères avaient elles-mêmes transmis ces principes de sobriété – avaient dès le départ « sans le savoir, tout compris au développement durable », résume Christine Castelain Meunier. « Elles ne se préoccupaient pas de l’environnement, car l’environnement faisait partie de leur conception de la vie. »
Mais elles ont aussi connu et vécu le progrès technique et l’ascension de la société de consommation. Après la Seconde Guerre mondiale, à partir des années 1960, « ce qui comptait, c’était la modernité », poursuit la sociologue. « Il fallait acheter de nouvelles chaussettes, sinon ça faisait « pauvre ». On pouvait exploiter la nature à outrance, car on était supérieurs grâce à la technologie. Elles ont été poussées à changer de registre… »
Aujourd’hui, cette figure idéalisée (car toutes les mamies n’ont pas fait des confitures maison) d’une grand-mère économe et respectueuse de l’environnement apparaît à bien des égards très « tendance ». Face aux injonctions à adopter un mode de vie plus sobre pour lutter contre le réchauffement climatique, « on a une certaine nostalgie de ce qui se faisait avant, automatiquement, comme si la tradition « ringarde » retrouvait ses lettres de noblesse », confirme Christine Castelain Meunier. Avec leurs valeurs, nos grands-mères sont un peu un repère dans un monde qui change.”
Article publié dans Sud-Ouest le 3 mars 2023 par Clémentine Maligorne, https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-03-03/pourquoi-nos-grands-meres-et-leurs-astuces-sont-plus-modernes-que-jamais-face-aux-enjeux-ecologiques-48e775ce-8186-4606-8d0b-bcff878190e3