Comment la doudoune North Face a-t-elle envahi les centres-villes ?

Passer de ce qui est nouveau à l’ancien qu’on aime sans tomber dans la case honnie de ce qui fait vieux, c’est ce qui explique le succès de la doudoune NORTH FACE.

“A arpenter les rues de Paris dans la grisaille de ce mois de mars, on pourrait croire que la moitié de la population de la capitale se prépare à grimper le Mont-Blanc dans la soirée. Mais nul projet de gravir les cimes chez la plupart des gens qu’on croise, juste l’envie de suivre la mode en revêtant fièrement une doudoune. Et dans le jeu des vestes rembourrées, une a su particulièrement tirer son épingle du jeu : la doudoune North Face, particulièrement les modèles 1992 et 1996, qui correspondent à leur année de création.

On la croise désormais plus en ville qu’à la montagne, et le vêtement, de base prévu pour les initiés, est devenu le b.a.-ba d’un outfit réussi, trente ans après sa sortie. Mais comment cette doudoune North Face s’est-elle (ré)imposée dans nos garde-robes ?

L’amour de la montagne et du « outdoor »

Penchons-nous déjà sur le retour de la doudoune en général, qui a relégué en fond de cale blousons, veste en cuir et autres manteaux tout ringards. Pour Thomas Zylberman, expert mode au sein du bureau de tendances Carlin International, « la doudoune est l’incarnation la plus récente de l’influence du sport dans nos modes vestimentaires. » Vous n’avez pas pu louper cette influence depuis quinze ans, symbolisée par la sneaker, passée de chaussure de sport à chaussure de ville.

Et depuis quelques années, ce pont sport/ville évolue plus spécifiquement. « On passe d’une tendance streetwear et de l’influence du sport à une fascination pour la pratique physique outdoor, et notamment la montagne, décalé dans un vestiaire citadin », poursuit l’expert. D’où le succès de la North Face, qui cultive cet imaginaire : un fondateur, Douglas Tompkins, militant écologiste convaincu et des produits initialement destinés pour la nature et que la nature.

La classe de l’ancien

S’ajoute l’histoire simple du cycle de la vie et de la mode, selon Pierre-Louis Desprez, directeur général de Kaos, cabinet spécialisé en innovation et en marques. D’abord un produit est nouveau. Ensuite il devient vieux – comprendre ringard. Puis avec suffisamment de temps, de chance et de design efficace, il arrive au stade « ancien ». Et un vêtement ancien, contrairement à un vêtement vieux, « c’est tendance ».

D’autant que porter de l’ancien peut avoir un message symbolique fort : le refus du neuf juste pour le neuf. « Il y a une contestation de la globalisation et une critique de la fastfashion en adoptant un produit ancien. Cela donne bonne conscience pour une génération préoccupée par l’écologie », développe Pierre-Louis Desprez. Même constat chez Sophie Malagola, créatrice de mode et ancienne directrice des collections chez DIM et chez Etam : « Les rares modifications par rapport au modèle d’il y a trente ans sont techniques, avec par exemple des changements de matériaux plus efficaces. De fait, la North Face respire l’authenticité, et non la simple tendance. En la portant, vous appartenez plus à une communauté d’aventuriers, même si vous ne grimpez pas vous-même, qu’à une communauté de mode. »

Un totem de société

Le fait d’avoir traversé les décennies plaide même en sa faveur, selon Sophie Malagola : « Cela montre sa praticité, son adaptabilité et sa qualité. Son ancienneté est une sorte de caution de garantie ». Et ça tombe bien, car la North Face a été désignée pour ça : survivre au temps qui passe.

« La doudoune devient un totem de société, comme le stylo bic ou le jean Levi’s 501. C’est un produit conçu non pas pour correspondre à une époque, mais à toutes les époques », développe Pierre-Louis Desprez. Sophie Malagola explique aussi le succès de la Face Nord par son apparente sobriété : « Cela a un côté passe-partout. Même avec une doudoune, on détermine autrement notre silhouette. Ce n’est pas elle qui va l’emporter sur le reste de notre tenue, et je peux affirmer mon style propre tout en portant ça en plus. » Pas étonnant, d’ailleurs, que ce soit la version noire de la marque que l’on aperçoit le plus.

Entre intemporel et mode

Intemporelle, la doudoune, toujours elle, répond également à certains critères de notre époque, développe Thomas Zylberman : « Elle colle bien avec l’esthétique très exagéré qu’on voit sur les réseaux sociaux. Elle permet de porter un vêtement très coloré, aux formes amplifiées, sans que ce soit choquant. On mettra volontiers une doudoune rouge ou jaune flashy, moins un manteau ou une veste de la même couleur. »

Dernier point – et non des moindres. « Ca reste un vêtement très pratique niveau chaleur, il ne faut pas l’oublier », rappelle en évidence Sophie Malagola. Pas besoin de gravir l’Everest pour voulois avoir chaud. Et si en plus c’est à la mode.”

Article publié dans 20 MINUTES par Jean-Loup Delmas le 12/03/2023, https://www.20minutes.fr/economie/4027237-20230312-fashion-conso-prevue-grimper-everest-comment-doudoune-north-face-envahi-centres-villes