Comment le skyr est devenu le boss des yaourts ?

Un nouveau territoire de marque apparaît : le froid et le fromage font désormais bon ménage.Le fromage frais n’est plus l’apanage du bassin méditerranéen, il faut désormais compter avec l’Islande.

“Qu’il semble loin le temps où l’Islande n’évoquait que les aurores boréales, les Vikings, les bains chauds devant des paysages de glace et les supporteurs faisant des clappings pendant l’Euro 2016 (le poteau de Gignac, on y pense encore). L’île reculée a désormais un autre imaginaire dans sa manche, et pas des moindres : le skyr. Que vous en consommiez ou pas, vous n’avez pas pu passer à côté de ce yaourt en faisant vos courses, vu à quel point il a envahi les rayons des produits laitiers et des desserts ces dernières années. Comptez une progression des ventes de 64 % rien qu’en 2021, dans un secteur des yaourts, lui en légère baisse (- 0,4 %), selon le panéliste IrL.

Pour comprendre comment le skyr a ringardisé les flans, crèmes vanille, mousses au chocolat et clafoutis, il suffit de se pencher sur ses valeurs nutritionnelles. Pas de matière grasse, quasiment pas de glucides, et un concentré de protéines. Entre 10 et 12 grammes pour 100 grammes de skyr, le tout pour moins de 60 calories. Un porte-étendard de la mode « healthy » qui déferle dans nos assiettes, particulièrement depuis le Covid-19. « Il coche toutes les attentes actuelles, notamment celles des sportifs, des jeunes qui veulent faire des sèches – des pertes de poids tout en prenant du muscle –, mais aussi des femmes, qui manquent souvent de protéines », liste Marie-Eve Laporte, enseignante-chercheuse à l’IAE Paris-Sorbonne et spécialiste du comportement alimentaire. Autre argument de l’époque, le skyr – dans sa version nature – est un produit quasiment pas transformé, composé de lait et de ferments lactiques.
Pour quelques protéines de plus

« C’est également pratique pour les végétariens sportifs, qui n’ont pas beaucoup de choix niveau aliments peu caloriques hyperprotéinés », ajoute Clémentine Hugol-Gential, professeure et spécialiste des enjeux contemporains de l’alimentation à l’université de Bourgogne. Le produit montre aussi sa praticité dans certains moments de la journée peu propices à la prise de prot, par exemple au petit-déjeuner et au goûter : « Le petit-déjeuner français est critiqué pour son fort taux de glucide et sa quasi-absence de protéines, le skyr est un bon intermédiaire, changeant moins les habitudes que trois œufs au plat, par exemple », poursuit Marie-Eve LaportE.

Vanté par les influenceurs fitness, les blogs nutrition et les youtubeurs « go muscu », le skyr « porte désormais tout un imaginaire, celui du ”superaliment” », explique Clémentine Hugol-Gential. Les amandes, les graines de chia, le cacao pur font aussi partie de ce mythe selon lequel certains aliments combineraient plusieurs vertus au top pour la santé. Autre superaliment invoqué, le granola… qui peut être composé en partie de skyr. Une « super » réputation quelque peu fantasmée : « Oui, le skyr est plutôt sain, mais il ne faut pas en faire des tonnes non plus », explique la professeure dijonnaise. Qui rappelle au cas où l’évidence : attention à ne pas manger que ça.
L’anticamembert

Mais on ne conquiert pas le rayon desserts & produits laitiers juste avec un bon taux de protéines. Le succès du skyr a donc d’autres explications. D’abord, son goût plutôt neutre et léger, collant là aussi avec la tendance. « Le consommateur s’oriente vers des produits au goût pas trop typé ou affirmé, un produit qui ne se ressent pas trop et qui n’est pas fort en bouche », indique Pierre-Louis Desprez, directeur général de Kaos, cabinet spécialisé en innovation et en marques. Pour notre expert, c’est un peu l’anticamembert, ce fromage « trop fort et donc en chute libre dans les ventes. »

Et pour ceux qui trouveraient au contraire le yaourt trop fade, il est possible, comme avec tout yaourt nature, de le customiser en rajoutant confiture, fruits, miel. Il existe d’ailleurs des versions commercialisées avec des parfums fruits rouges, vanille, mangue… Tout est prévu pour consommer.
Voyage voyage

Quelle que soit la marque, vous ne pouvez pas louper le mot « Islande » sur le packaging d’un skyr. Et ce n’est pas pour rien. « Comme pour l’avocat, l’origine un peu exotique du skyr participe à son attrait », appuie Clémentine Hugol-Gential. Marie-Eve Laporte confirme : « Le côté islandais s’inscrit dans l’intérêt pour les cuisines du monde, la volonté de variété, de découvrir de nouvelles contrées, de nouvelles sensations. Un yaourt ”normal” n’a pas cette texture, par exemple. »

Pour un pro du marketing comme Pierre-Louis Desprez, ce côté islandais est une aubaine : « Ce sont de nouvelles histoires à raconter, un autre imaginaire à titiller. C’est assez inattendu, un produit laitier venant du Nord, la plupart de ces aliments étant plutôt issus de la Méditerranée. » On conte alors l’histoire de la recette artisanale de l’Islandais modeste, « laquelle permet de cacher le reproche global actuel : celui de l’industrialisation et de la mondialisation. »

Mais, comme toute histoire, elle est parfois trop belle. Après avoir porté le skyr aux nues, de nombreux influenceurs fitness dénoncent désormais son prix, arguant que pour trois fois moins cher, un paquet de petits suisses 0 % a peu ou prou les mêmes vertus nutritionnelles. L’Islande a aussi bon goût que bon dos.”

Article de Jean-Loup Delmas publié dans 20 Minutes le 25/02/2023, https://www.20minutes.fr/economie/4024265-20230225-fashion-conso-comment-skyr-devenu-roi-venu-froid-yaourts