Faut-il changer le symbole de la “plume” des maisons de la presse?

La lecture de la presse papier continue de chuter, face au digital. A quoi servira de changer le symbole de la “plume” des marchands de presse ? Faire revenir des clients? Petite visite au pays des croyances et des modes…

 

Un concours est organisé par le ministère de la Culture pour modifier le symbole de la plume des marchands de presse.
Ce rebranding en grande pompe permettra-t-il d’attirer de nouveaux clients et de séduire les consommateurs ?
Si le logo a son importance marketing certaine, il ne faut pas non plus fonder en lui des espoirs démesurés.

« S’il vous plaît, dessine-moi un logo » … Le ministère de la Culture a lancé un concours pour redesigner la fameuse plume des marchands de presse. Vous avez jusqu’au lundi 16 janvier pour envoyer votre meilleur modèle, avant qu’un jury ne sélectionne de trois à quatre candidats devant bosser sur le prototype.

Adieu donc la fameuse plume jaune et rouge, un nouveau logo ornera bientôt les 21.000 marchands de presse en France. Mais quel effet aura ce rebranding ? Un logo efficace est-il utile, voire indispensable pour attirer le client ? « Notre cerveau et notre œil analysent une image bien plus vite qu’un texte. Le logo est donc la première information qu’on reçoit et qu’on va traiter, autant qu’il soit de qualité », analyse Pierre-Louis Desprez, directeur général de Kaos, cabinet spécialisé en innovation et en marques.
Secondes décisives et centimètres carrés

La première information et même parfois la seule, relance le graphiste et vidéaste Klemo, dont la chaîne Youtube spécialisée dans le rebranding de logo compte 160.000 abonnés : « Aujourd’hui, on est sursollicité par des tas d’informations, les toutes premières secondes sont donc ultra-importantes et décisives pour ne pas zapper. Ce qui compte dans ces secondes-là, c’est l’image du logo, pas la qualité du produit ou son utilité. Si le logo n’est pas bon, le consommateur va passer à autre chose. » On scrolle les marques comme les vidéos TikTok, il faut donc se prendre une claque visuelle dès le premier coup d’œil. Autre immense avantage de l’image par rapport au nom de la marque : « Tout le monde ne parle pas la même langue, ni ne lit le même alphabet, mais tout le monde comprend une image », appuie Marcel Botton, PDG de Nomen, une entreprise spécialisée dans la création de noms de marques.

Mais alors, c’est quoi un bon logo ? La réponse est à chercher dans ces quelques précieuses premières secondes, selon Pierre-Louis Desprez : « Il faut qu’il raconte une histoire qui donne du sens à la marque ». Avec une petite subtilité quand même, « cette histoire doit tenir sur un centimètre carré, vous ne disposez pas d’une toile de Picasso ». Klemo ajoute : « Le message doit être clair, efficace et cohérent avec la marque et l’ambiance qu’elle veut instaurer. Le logo d’une marque de gâteau doit me renseigner sur quel type de gâteau je vais manger : pour enfants, pâtisserie raffinée, premier prix… »
Père logo, raconte-nous une histoire

Du sens, mais aussi un récit, insiste Pierre-Louis Deprez : « Si vous enlevez la sirène de Starbucks pour mettre juste une tasse ou du grain à moudre, alors vous ne vendez plus que du café, et on se demande bien pourquoi choisir cette marque-là », et pourquoi payer votre gobelet de Macchiato six euros cinquante. Attention également au contresens. Marcel Botton prend l’exemple du logo du CNRS, où des flèches partent dans plusieurs directions : « On se doute qu’ils ont voulu dire qu’ils traitaient des tas de sujets différents, mais cela donne surtout l’impression que ça part dans tous les sens, ce qui est totalement contre-productif avec le message souhaité. »

Reste la question décisive : faut-il redesigner son logo, au risque de perdre son identité
? Marcel Botton : « Un logo vieillit plus vite qu’une marque, il peut donc être utile de le moderniser. Cela rappelle aussi que les modes passent, et qu’il faut réfléchir à un logo assez intemporel plutôt qu’un surfant sur des tendances vite démodées. »
Entre modernité et tradition

Pierre-Louis Desprez donne sa philosophie : « On modernise quand l’histoire n’est pas suffisamment forte », sinon on se contente de changements mineurs, comme les petites modifications sur les lettres de Coca-Cola. « Il faut des yeux d’ange pour voir la différence », poursuit l’expert. Autre exemple donné par Klemo : Adidas, qui a décidé de supprimer son nom en bas derrière des trois fameuses bandes. Un détail qui allège et renforce la marque, selon lui. Reste l’intouchable des intouchables, Nike, « le logo parfait », aux yeux du graphiste.

Mais l’heure est aussi à l’innovation, notamment avec Internet, qui permet de modifier ses logos numériques sans coût ou presque. « Google notamment change et adapte son logo très souvent au fil des évènements internationaux ou des journées mondiales. Le monde du logo s’est un peu déridé », poursuit Pierre-louis Desprez.

Une bonne raison de rebrander les plumes des marchands de presse ? Il n’existe aucune étude qui se penche sur la corrélation entre rebranding et attirer de nouveaux clients, nous rappellent nos experts. « Cela peut être utile pour faire parler de soi, un peu de buzz et attirer un peu l’attention, mais c’est éphémère », appuie le directeur général de Kaos. Le spécialiste prend l’exemple de la marque GAP, qui a essayé de changer son logo sans grand succès : « Ils auraient mieux fait d’essayer de faire des produits plus performants que réfléchir à une nouvelle icône. Le logo, oui c’est important, oui une version plus moderne peut ramener quelques clients supplémentaires, mais ça reste un joli coup de peinture. Vous ne sauvez pas une entreprise avec un coup de peinture, aussi beau soit-il. »

Article de Jean-Loup Dumas, publié dans 20 minutes, le 10/01/2023, https://www.20minutes.fr/economie/4017971-20230110-marketing-changer-logo-bon-moyen-attirer-clients