2050 : tout ce que vous consommerez se fera sur abonnement

L’abonnement s’étend à tous les secteurs d’activité. DECATHLON vient de lancer un abonnement à ses articles de sport. Un début !

 

Mardi 1er novembre 2050, 7 heures du matin. Comme à chaque réveil, la radio (oui, elle existe encore dans trente ans) de Jérémy se branche sur les ondes d’Amazon FM, pour lesquelles il paie un abonnement mensuel de 4,99 euros. « Ce n’est pas cher et l’information est de qualité », s’était-il autoconvaincu au moment de souscrire. De toute manière, pas besoin de beaucoup d’arguments : il s’agit de son 37e abonnement en cours. A force, la mécanique est rodée.

Son café, lui, arrive grâce à sa carte Starbucks, qui lui permet d’avoir une boisson chaque matin pour la modique somme de 20 euros mensuels. Une vraie abo-mania, vous dites ? Les premiers signes étaient déjà présents à la jonction des décennies 2010 et 2020. Une étude d’Ipsos d’octobre 2021* indiquait qu’à l’époque, un Français cumulait 10 abonnements mensuels en moyenne. « Il y a une tendance nette à l’abonnement ces dernières années, c’est un marché en plein boom et appelé à se développer », prédisait d’ailleurs Philippe Moati, directeur de l’Observatoire Société et consommation *, en 2022.
La révolution Del Arte

Un cap important a été franchi en octobre de la même année, lorsque la chaîne de restauration Del Arte a proposé un abonnement permettant de manger chaque jour à sa table, le tout pour 35 euros par mois. Mais pourquoi un tel succès pour l’achat en forfait ? Marcel Botton, PDG de l’agence-conseil Nomen **, spécialiste des marques et de leur valorisation, avait bien sa petite idée : « Cela présente l’avantage d’amoindrir le prix pour le consommateur et d’offrir aux entreprises de la récurrence. Dans une époque où les habitudes et les comportements d’achat changent vite, fidéliser le client est la tâche la plus importante. »

Désormais, en 2050, tout le monde est abonné à ses restos préférés. Pour Frédéric, c’est Sushis-store et Pizza-ions. Mais avant le déjeuner, passage obligatoire par la salle de sport Neo-fit, là aussi un abonnement. Direction donc le métro. Métro qui lui rappelle qu’il n’a toujours pas résilié sa carte d’abonné aux transports en commun de Rennes, d’où il a déménagé il y a trois mois. « Chaque jour, je me dis que je vais résilier, mais j’ai la flemme et je reporte. En attendant, je paie… », s’autoflagelle Frédéric.
La Netflixation du marché

« Le problème de l’abonnement, c’est qu’il ne s’adapte pas aux imprévus. Un déménagement, une blessure, un voyage… On paie aussi du vide », disait Marcel Botton. Dès 2021, il faisait la preuve de son emprise : 47 % des Français s’étaient alors déjà sentis piégés par un abonnement (offre mois gratuit, facilité à souscrire, difficulté à résilier), et 40 % continuaient à payer des abonnements qu’ils n’utilisaient plus ou à peine, selon la même étude Ipsos.

Le cas le plus connu, on y revient, c’est la salle de sport. Abonné en janvier, déserteur en mars… Non ! Hors de question de tomber dans ce cliché pour Frédéric, au rendez-vous ce mardi pour taper ses meilleures séries de traction. Comble du bonheur après avoir bien sué, Neo-fit lui a préparé le shaker protéiné à la fraise qu’il aime tant. « C’est aussi tout l’avantage de l’abonnement pour l’entreprise : mieux connaître ses clients, et ainsi répondre au mieux à ses attentes en maximisant les coûts et les profits », selon Pierre-Louis Desprez, directeur associé de Kaos Consulting **. « C’est l’effet Netflix : plus vous consommez de films, plus les algorithmes comprendront vos goûts et recommanderont des films pertinents », schématisme Philippe Moati. Ce qui augmente l’emprise des abonnements sur nos vies, explique le directeur : « Un abonnement met du temps avant d’être optimisé et de bien vous connaître. Cela devient encore plus dur de le résilier, car vous avez conscience que cela a demandé des efforts pour construire une relation si performante. »

Frédéric l’illustre avec son shaker : « Avant, Neo-fit aurait acheté des boissons à la banane, au chocolat, à la pomme… dans le doute. Maintenant que tout le monde est abonné, ils savent qui prend quoi, et font pile-poil les achats qu’il faut. Il n’y a plus de gâchis. » C’est LA promesse de l’abonnement : éviter le gâchis. Le Vélibonator qu’enfourche Frédéric à midi – pour lequel il paie bien sûr un abonnement, vous commencez à suivre – en est l’exemple parfait : « Vous imaginez la matière première gaspillée si chaque utilisateur de vélo en achetait un ? », se congratule Frédéric.
Consommation de service

Dès 2022, Pascale Hébel, codirectrice de société de conseil en marketing**, posait cette analyse : l’abonnement, c’est le passage d’une consommation de propriété à une consommation d’usage et de service. Au lieu d’acheter une voiture, je vais en louer une pour effectuer un trajet. En théorie, cela permet moins de consommation, mais aussi de rendre accessible des objets trop chers à l’achat. Sylvie, la femme de Frédéric, est abonnée à Decath-X. Contre une trentaine d’euros par mois, elle peut emprunter l’équipement sportif de son choix. « Cet été, on a pu faire du kayak, du paddle, et même de la voile. Vous croyez qu’on aurait eu de quoi s’acheter tout ça ? », rigole Frédéric sur son vélo (dont il vient de recharger l’abonnement).

Le voilà arrivé au Sushi-store. « En soi, je n’ai pas très faim, mais il faut y manger trois fois par semaine si je veux rentabiliser mon forfait », indique le trentenaire. Un vrai problème vis-à-vis de la crise écologique, détaillait Pierre-Louis Desprez : « Le système d’abonnement pousse à la consommation et à la croissance, c’est juste un peu plus caché. Mais dans un monde où un Français consomme 2,7 fois plus que ce qu’il faudrait pour la planète, l’abonnement, qui permet de tout avoir et de tout consommer, aurait intérêt à une sérieuse mutation pour être un modèle sain. » Pascale Hébel file la métaphore du buffet à volonté : « Vous allez généralement manger plus que votre faim, pour rentabiliser l’achat ». Dit autrement : combien de films ou de séries Netflix n’aurions-nous pas visionnés s’il fallait les payer à l’unité ?
Moins de liberté

Malgré un léger mal de ventre après ces sushis dont il ne voulait pas, Frédéric passe l’après-midi à bosser. « Le CDI, qu’est-ce d’autre qu’un abonnement de plus ? », rigole-t-il. Son meilleur ami du boulot, Romain, lui propose un Mexicain ce soir (il est abonné à la chaîne FuturoTacos). Mais pour Frédéric, non-adhérent, cela reviendrait à 50 euros le repas. Car oui, les achats à l’unité sont devenus hors de prix. Déjà en 2022, les cinémas justifiaient leurs séances à 13 euros avec le fameux « oui, mais avec le pass 10 places, c’est moins cher ».

« Les entreprises risquent de doper le prix à l’unité, afin d’inciter encore davantage le client à s’abonner, anticipait Pascal Hébel. On va perdre en capacité d’achats occasionnels et à l’unité. Il y aura moins de liberté d’achats, de frivolité. » Philippe Moati : « Les abonnements enferment le consommateur, c’est même leur fonction : qu’il reste dans la marque et n’aille pas ailleurs. » Certes, Frédéric va au resto tous les jours. Mais uniquement dans deux restaurants.
Hausse des prix invisible

Tout bougon d’avoir loupé ce resto mexicain, Frédéric rentre chez lui. Mardi, c’est le jour des factures ; il (re) découvre le coût global de ses abonnements – presque la moitié de son salaire – et la hausse de nombre d’entre eux. Une hausse peu visible, et donc d’autant plus dangereuse : « La plupart des consommateurs n’ont plus aucune idée du prix, de ce qu’ils dépensent, des hausses en cours », pointait Pascale Hébel. En 2021, 35 % des consommateurs ne savaient pas lister précisément le nombre de leurs abonnements et leur coût mensuel. Philippe Moati : « Les hausses de prix sont d’autant plus sournoises vue l’emprise de l’abonnement. Le consommateur subit ”les deals de statu quo” : Il a tendance à reproduire ce qu’il a déjà fait et ce qu’il connaît déjà. »

Sylvie est déjà endormie, et Frédéric se couche comme il s’est levé : avec Amazon FM. Entre-temps, le forfait est passé à 10 euros mensuels. Ok, l’information est de qualité, mais ça commence à faire cher…

Article publié par Jean-Loup Delmas, 01/11/2022, 20 Minutes https://www.20minutes.fr/economie/4007624-20221101-del-arte-repas-sport-loisirs-rendez-2050-vie-abonnements