Législatives 2024 : comment la marque « Emmanuel Macron » est-elle devenue has been ?

Sept ans seulement après la victoire du « En même temps », la marque Macron semble avoir fait son temps. Démodée, ringardisée, en rupture de confiance… comment comprendre ce déclin express

Le macronisme est-il finito ? Si l’on interprète les législatives 2024 comme une étude de marché, la réponse tend vers le oui. Couronné de succès en 2017, le mouvement a totalement flopé ce 30 juin et n’est plus que le troisième camp politique du pays.
Un résultat peu surprenant pour les politologues et pas davantage pour les spécialistes du marketing, qui ont repéré plusieurs erreurs de la marque « Emmanuel Macron ».
« 20 Minutes » a contacté quatre experts de la mode et du marketing pour lister les faux pas du macronisme, et expliquer ainsi sa chute.

2014. A l’occasion d’un remaniement ministériel, la politique française découvre une nouvelle marque : Emmanuel Macron. Tout juste arrivé, le produit se prépare déjà à dominer le marché avec un slogan aussi simple que percutant : « En même temps ». Une idée bankable aux yeux de Pierre-Louis Desprez, spécialiste du marketing : « Toute innovation consiste simplement à mettre un ”et” quelque part. » Ikea ? Des meubles design et pas cher. L’iPhone ? Téléphoner et écouter de la musique sur le même appareil. Macron ? Etre de gauche et de droite.

Mais dix ans plus tard, la marque n’est plus à la mode. La claque reçue au premier tour des législatives – 20 % des voix, troisième bloc du pays loin derrière le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire – prouve à ceux qui en doutaient encore la ringardise du modèle. Rien d’étonnant tant le président a accumulé les erreurs marketings grossières. Les voici.

Erreur N°1 : La non-fidélisation des clients

« C’est certes l’étape la plus compliquée », concède Sandrine Doppler, consultante en marketing, mais elle est manquée dans les grandes largeurs. « Si avant, la cible Macron était assez large, on peut parler aujourd’hui d’une cible premium. Ils sont sacrément rares à y croire encore. » Parmi toutes les tranches d’âges d’électeurs à ces législatives de 2024, le groupe Ensemble n’a été leader en nombre de voix que chez les 75 ans et plus. « Or, pour les élections, chaque vote compte de la même manière, donc miser sur le premium est une stratégie contre-productive. »

Pour Moïra Cristescu, créatrice de mode de la marque éponyme, cette non-fidélisation est aussi logique que celle des pantalons pattes d’eph’ ou du rosé pamplemousse : « Certaines nouvelles marques émergent en surfant sur une tendance de l’époque – la lassitude du clivage gauche/droite dans le cas Macron –, mais toute tendance lasse et les clients passent à autre chose. Pour être certain de durer, il faut quelque chose de très adaptable à chaque époque, de très pratique et universel. Comme le jean Levi’s par exemple, ce que n’est pas le macronisme. »

Pierre-Louis Desprez développe : « Le thème choisi par Emmanuel Macron est le ruissellement, très clivant, là où une marque politique intemporelle – Charles de Gaulle – incarne la souveraineté, une valeur plus partagée, que ce soit à gauche ou à droite. »

Erreur N°2 : Ne pas avoir fait dans l’extension de marque

S’il est commun de dire qu’une fois au sommet, on ne peut qu’y rester ou chuter, il existe en réalité une troisième option : s’étendre ailleurs. Voilà pourquoi vous trouverez du RedBull partout dans le monde du sport professionnel, du LVMH dans l’immobilier, et pourquoi Facebook a dépensé des milliards pour racheter Instagram et WhatsApp.

Le macronisme, comme son nom l’indique subtilement, est resté autocentré. « Emmanuel Macron a bien essayé, il suffit de voir les multiples rebranding du nom de son parti ou son nombre de remaniements ministériels », poursuit Johanna Volpert, professeure associée en marketing à la Kedge Business School Bordeaux. Mais rien à faire, « la marque Renaissance/Ensemble reste totalement associée à sa seule personne. Il n’a pas su développer d’autres figures ou avoir un parti assez puissant pour lui succéder. »

Erreur N°3 : Une mauvaise expérience client

« Aujourd’hui, le marketing, c’est la promesse de vivre une expérience. Et avec Emmanuel Macron, on est dans une expérience totalement dégradée », explique, cash, Sandrine Doppler.

Que ce soit de son fait – oui, la réforme des retraites notamment, c’est de toi qu’on parle – ou pas – la crise du Covid-19, une inflation record, la double guerre en Ukraine et à Gaza – , la période Macron restera, pour beaucoup, associée à des évènements douloureux dans l’actualité et la vie des Français.

Erreur N°4 : Le manque d’innovation

Jouer la carte « Moi ou le chaos » à chaque élection, le « J’assume » sur toute mesure impopulaire sans plus de considération pour les oppositions, sortir une phrase provocante suivie d’un mea culpa et dire qu’il fera mieux, même le « En même temps » … Chez Emmanuel Macron, on adore le recyclage depuis 2017. Et à force, ça lasse le client. « Lorsqu’une marque n’innove plus, elle se meurt », soutient Pierre-Louis Desprez. « Aujourd’hui, le macronisme ne propose plus rien de neuf, et pour les vieilles recettes, on préférera les marques historiques de gauche et de droite. »
Erreur N°5 : Une sous-estimation de la concurrence

« La base lorsqu’on se lance sur un marché, c’est d’étudier la concurrence. Et Emmanuel Macron l’a clairement sous-estimé », appuie Sandrine Doppler. L’extrême droite n’a jamais autant pesé électoralement et la gauche a réussi à s’unir à nouveau, deux ans après la Nupes.

« C’est d’autant plus une erreur que la concurrence en politique est bien plus féroce que dans le marketing », relance Johanna Volpert. Nike et Adidas peuvent chacun se satisfaire d’une (grosse) part du gâteau. Mais en politique, il ne peut y avoir qu’un seul grand vainqueur.

Erreur N°6 : Ne pas embrasser la traversée du désert

Alors ça y est, tout est fini et la macronie est bonne pour les oubliettes ? Dans le marketing, rien n’est jamais totalement terminé. Qui aurait pu prédire le retour en force des Birkenstock, de la poche-banane ou de Desigual, rappelle Moïra Cristescu. « Une grosse période de creux n’est pas forcément définitive, et la traversée du désert peut même être un bon narratif pour revenir », estime Pierre-Louis Desprez. citant notamment Apple, qui a excommunié Steve Jobs avant de le rappeler pour rebondir sur le marché. Ou, dans la sphère politique, Jacques Chirac.

« C’est aussi une belle histoire : après des promesses, on a été rattrapé par ses conneries et ses mensonges ; on subit un passage à vide puis on revient en s’excusant pour nos erreurs et notre arrogance passée et en faisant amende honorable », conte l’expert.

Le problème, c’est que ce narratif demande à Macron de ne pas faire de vague. « Après la débâcle aux européennes, il aurait gagné à se faire discret. Or il a dissous l’Assemblée nationale, multiplié les prises de paroles et les interventions médiatiques », conclut Johanna Volpert. Se faire discret ou disparaître, c’est aussi ça la vie d’une marque.

Article publié par Jean-Loups Delmas, 20 Minutes 03/07/2024, https://www.20minutes.fr/politique/4098871-20240703-legislatives-2024-comment-marque-emmanuel-macron-devenue-has-been