Pourquoi la banane revient-elle en force (pas autour de la taille svp)?

“La décennie 1980 a cette tendance étrange à ressurgir épisodiquement dans nos vies, avant de replonger dans les limbes de la mélancolie. Début de soirée et Nuit de folie revenant hanter nos playlists, Stranger Things et autres séries jouant à fond la carte de la nostalgie, et même le retour d’une simili Guerre Froide. Malgré cette capacité des eighties à ressusciter tout et n’importe quoi, il y a bien un objet qui semblait enterré pour de bon. Le sac banane, que les années 1990 avaient cloué sur le cercueil de l’ultra-ringard. Et pourtant… Il suffit d’aller faire un tour dans la rue pour s’apercevoir qu’elle a fait son grand retour sur le devant de la scène.

Sophie Malagola, créatrice de mode et ancienne directrice des collections chez DIM et chez Etam, confirme une forte inspiration des années 1980 dans les tendances vestimentaires actuelles. La banane ne se trouve pas qu’aux Francofolies ou au Rock-en-Seine, elle est aussi portée fièrement par Rihanna, Kylie Jenner, et designée par Gucci ou Chanel. Excusez du peu. Et pour Thomas Zylberman, expert mode au sein du bureau de tendances Carlin International, la célèbre sacoche n’en est même pas à son premier retour. L’accessoire est coutumier de ces come-back tonitruants avant de resombrer dans les bas-fonds de la ringardise. Un cycle de la banane, en quelque sorte
Le nouvel âge du sac

Mais si la banane brille aujourd’hui, c’est moins par nostalgie des années 1980 qu’en incarnant des valeurs bien contemporaines : « C’est un sac à main no gender, pour les garçons et pour les filles. La question du genre innerve la société entière, et la banane répond parfaitement à cela », s’enthousiasme Thomas Zylberman.

Unisexe, et surtout carrément pratique. « Elle est parfaitement adaptée à la mobilité moderne, pour être portée sur un vélo ou une trottinette, prendre les transports en commun en ne prenant que peu de place et en n’offrant l’espace que pour le strict nécessaire : carte bleue, portable, un paquet de mouchoir, clés, et le tour est joué », poursuit Pierre-Louis Desprez, directeur général de Kaos, cabinet spécialisé en innovation et en marques.
« Il n’y a pas d’histoire aristocratique de la banane »

La banane proposerait donc l’entre-deux parfait : moins genrée qu’un sac à main, plus pratique qu’un sac à dos – on en revient à son utilité dans les transports en commun ou pour les sorties le soir. Et moins cher, rajoute Thomas Zylberman : « Pour les hommes, ça peut être difficile de trouver un sac beau et abordable. La banane offre une multitude de choix, de couleur et de prix. » Pour tous les genres et pour toutes les bourses : deux sujets de l’époque.

L’accessoire n’a pas une existence très ancienne : il est à peine quadragénaire, et sa durée de vie peut être encore raccourcie si l’on exclut toutes ses années au purgatoire de la mode. Ce qui fait aujourd’hui son atout, selon Pierre-Louis Desprez : « Il n’y a pas de grande histoire aristocratique de la banane, c’est un objet trivial, venu plus de la banlieue que de la bourgeoisie. Elle commence à trouver ses lettres de noblesse seulement aujourd’hui avec les grandes marques. » Conclusion : « Cela lui offre un côté rebelle à moindres frais ». Dans la même catégorie révolution de velours, cette sacoche, par sa petite taille et sa variété de modèles, permet « une touche de folie et de couleur dans des gardes-robes plus classiques », renchérit Thomas Zylberman.
Le ringard, quel ringard ?

Il faut bien que jeunesse se passe, et que la banane écrive enfin sa légende. Sophie Malagola nous donne à ce sujet un petit coup de vieux : « Les jeunes qui portent la banane n’ont pas connu son image ringarde dans les années 1990, et n’ont pas cet a priori de base. D’ailleurs, ils la portent différemment : elle est plus souvent en bandoulière ou sur le côté » – comme la Laitière tout là-haut. Rien n’a trop changé finalement : porté à la taille, en ceinture, comme elle l’était dans les années 1980 et 1990, la banane reste has been, même en 2023. Les années 1980 peuvent effectivement ressusciter beaucoup de choses, mais il y a quand même des limites.”
Interview de Jean-Loup Delmas 20 Minutes, 28/05/2023, 20 Minutes – https://www.20minutes.fr/economie/consommation/4037862-20230528-mode-comble-ringard-branche-comment-sac-banane-fait-grand-retour