Birkenstock, la marque robuste

Il y a des marques fusées et des marques robustes. Birkenstock est devenue une marque robuste tendance. Récit.

 

 

Dans notre imaginaire du fashion faux pas, les Allemands en sandale-chaussettes ont toujours été la frontière indépassable. La mode et nous, ce n’est certes pas toujours ça, et les rumeurs courent sur le fait qu’on porte parfois des t-shirts trop serrés, des pantalons trop long – pire, jadis des pantacourts –, ou bien qu’on a déjà mis ce short rose avec ce tee-shirt bleu dans un mélange de couleurs plus que douteux. Face aux railleries, on se rassurait en se disant qu’au moins, on n’était pas tombé aussi bas que nos voisins outre-Rhin à porter des sandalettes. Un peu comme un cuisinier amateur se console sur la qualité de son bœuf bourguignon en se disant que dans la gastronomie anglaise, le fish and chips et la gelée royale sont des sommets de goûts.

Mais ça, c’était avant qu’on nous touche deux mots sur le retour en force des Birkenstock, ces sandales allemandes qui ont conquis les pieds des Français. Comment ces sandales sont-elles passées de la vanne honteuse à la hype ? Tout cela nécessitait une petite enquête.
De Birk et de brocs

Ce qu’il s’est passé déjà – et ça, on ne l’avait pas manqué –, ce sont trois confinements en deux ans. De quoi « faire évoluer les mentalités vers des vêtements plus confortables dans la vie de tous les jours », estime Sophie Malagola, créatrice de mode et ancienne directrice des collections chez DIM et chez Etam. Dans une étude menée en 2021 par le cabinet spécialisé IWG, 59 % des sondés déclaraient que l’époque des tenues formelles était révolue au travail, et 64 % des salariés souhaitent aujourd’hui opter pour des vêtements confortables au bureau. « Il y avait déjà une tendance qui allait vers le plus confortable, ce que la crise sanitaire a amplifié. Les gens ont envie de porter le vêtement qu’ils veulent quand ils le veulent », poursuit l’experte. Les sneakers, par exemple, s’étaient imposées dans tous types de situation ou presque bien avant que le Covid-19 ne fasse son apparition.

« La mode s’oriente vers des choses plus simples et plus confortables. Aujourd’hui, la tendance, ce sont les ”Birk”, pas les talons hauts. La praticité est devenue essentielle », appuie Marcel Botton, PDG de l’agence-conseil Nomen, spécialiste des marques et de leur valorisation. Le confort prime, relance Sarah Banon, professeure en théorie de la mode à l’Institut Français de la Mode : « L’époque où il fallait éloigner le produit du consommateur pour le rendre désirable est révolue. Le côté parfait ou inaccessible n’est plus vendeur, maintenant c’est l’aspect je-m’en-foutiste qui est mis en avant. Les ”défauts” de la Birkenstock – design assez simple, ergonomique et fonctionnel – sont devenus ses qualités ».

Ce que Pierre-Louis Desprez, directeur associé de Kaos Consulting, nomme « la coolitude. A ce titre, Birkenstock est quasiment un totem de notre société, où le cool et la simplicité ont pris le pas sur le reste. La cravate, c’est fini, les crocs, c’est tendance. »
Ironie et fashion

Une ode à la simplicité et au pratique, donc ? Pas si vite. Car la Birkenstock se fashionise à vitesse grand V. « Elle dispose de plus de coloris, de variantes et de formes qu’avant », note le directeur. Sans compter que la marque a été rachetée par LVMH, a fait plusieurs collaborations avec des marques de luxe, comme Dior, s’est affichée dans plusieurs défilés et a été vue aux pieds de multiples personnalités, actrices, chanteuses et mannequins (Gigi Hadid, Gwyneth Paltrow, Dakota Johnson…), rappelle Sophie Malagola : « Il suffit de deux, trois people avec des Birk pour détendre toute une catégorie de personnes sur le fait de pouvoir en porter tranquillement. »

L’omniprésence de la sandale sur les réseaux sociaux explique aussi sa popularité. « Tout le monde a compris qu’il n’y avait plus de honte à les porter », conclut notre experte. Le je-m’en-foutisme oui, mais uniquement s’il est validé par les autres.

« Il y a désormais plus de place pour le relativisme. On s’est échappé d’une vision hégémonique, où il y avait le bon et le mauvais goût. Tous les goûts sont désormais permis », poursuit Sarah Banon. Le vrai truc ringard désormais, c’est de trouver des trucs ringards. Même des sandalettes allemandes dont – objectivement – tout le monde se moquait il y a dix ans ? Sortez vos livres de philosophie avec la professeure : « Il y a une forme d’ironie dans la mode, ce que Roland Barthes qualifiait de bathmologie, à savoir qu’il y a plusieurs degrés de signification. Certains portent les Birkenstock au premier degré, d’autres au second, d’autres encore au troisième. On se moque un peu de l’image de la claquette-chaussettes, du caractère parfois pompeux de la mode, on brise ses codes. »
La Birkenstock, le must de la sandale

Pourquoi pas. Mais à 70 voire 150 euros la paire de Birkenstock Arizona – l’incontestable tube de l’été, que vous avez vu tous les trente mètres dans la rue, ça fait cher la blague et le second degré. Rassurez-vous, la marque a de vrais arguments à faire valoir : « A la base, ce sont des sandales orthopédiques professionnels, un gage de qualité. On voit de plus en plus de marques destinées aux professionnels s’élargir au grand public, considérant qu’elles ont fait leur preuve », estime Marcel Botton. Petit listing hautement qualitatif par Sophie Malagola : « La marque est réputée, les matériaux utilisés – cuir naturel, liège – sont réputés, l’origine est connue, la qualité allemande a fait ses preuves. On achète des Birkenstock parce qu’elles valent le coup. »

Tant et si bien que 150 euros la paire, ce n’est finalement pas si cher, à en croire Pierre-Louis Desprez : « Vous trouverez difficilement un meilleur rapport qualité/prix, c’est quasiment imbattable. Vous voulez de la qualité pour vos pieds ? Vous prenez des ”Birk”. A une époque où on prend de plus en plus soin de nous, on délaisse les tongs de plage en plastique à 10 euros pour du vrai confort. » Ihre zehen sind es wert (Vos orteils le valent bien).

Article écrit par Jean-Louis Dumas pour 20 Minutes, 02/10/2022,https://www.20minutes.fr/economie/4003039-20221002-fashion-conso-comment-birkenstock-passes-sandales-ringardes-stars-pieds