Orpea devient Emeis : ce qu’on perd en changeant de nom? 35 ans de goodwill !

Ne l’appelez plus Orpea. Le groupe d’Ehpad, largement entaché par des affaires de maltraitance il y a deux ans, poursuit sa mue. Après avoir changé ses actionnaires et restructuré sa dette, Orpea change de nom pour devenir Emeis. Une “nouvelle étape de sa refondation” qui pourrait être à double-tranchant.

C’est un changement de nom comme un point final à une restructuration entamée il y a deux ans. Le groupe d’Ephad privés Orpea devient Emeis pour “marquer une nouvelle étape de sa refondation”, a annoncé mercredi 20 mars son directeur général Laurent Guillot. “La marque Orpea était très abîmée, elle était devenue synonyme de scandales, il était important de changer de nom“, a déclaré à l’AFP le dirigeant du géant des maisons de retraite, cliniques privées et services d’aides à domicile qui emploie 28 000 personnes en France.

Pour comprendre la situation actuelle il faut remonter au mois de janvier 2022, date à laquelle le journaliste Victor Castanet publie “Les Fossoyeurs”. Un livre enquête dénonçant la maltraitance des pensionnaires tout comme les conditions de travail dans les Ehpad d’Orpea. Rationnement de couches, de nourriture, épuisement du personnel, usage abusif des fonds publics… la liste est longue et pousse des centaines de familles à poursuivre en justice le groupe. La descente aux enfers est telle qu’en un an, l’action d’Orpea perd 90 % de sa valeur en Bourse.
“Une nouvelle ère”

Lourdement endetté, le groupe a été sauvé de la faillite par la Caisse des Dépôts (dont Novethic est une filiale) bras armé de l’Etat, qui, avec un consortium, en a pris le contrôle en décembre 2023. Restructuration financière, changement d’actionnaires, le groupe a également rétabli le dialogue social et signé l’été dernier un accord social prévoyant des mesures en faveur des salariés, une première en 15 ans. Il vient par ailleurs de dévoiler sa raison d’être “Ensemble, soyons force de vie des plus fragiles” et devrait adopter un statut d’entreprise à mission l’année prochaine.

Il ne manquait plus que le changement de nom pour tourner la page. “Un changement de nom après un scandale comme celui-ci permet à l’entreprise d’entrer dans une nouvelle ère, d’incarner sa nouvelle stratégie“, explique à Novethic Nina Derai, présidente de l’agence Nomen, spécialisée dans le naming. “Emeis – qui veut dire “nous” en grec ancien – représente bien le projet de refondation que nous avons lancé en novembre 2022 : un projet collectif avec nos 76 000 collaborateurs, avec nos patients, nos résidents et l’ensemble des acteurs de soin“, abonde Laurent Guillot. Emeis, que le groupe écrit entièrement en minuscules, se dote également d’un nouveau logo, des mains symbolisant les métiers du soin.
Une stratégie à double tranchant

Orpea n’est pas la première entreprise à changer de nom pour effacer un scandale. Mais cette stratégie peut être à double tranchant, prévient Pierre-Louis Desprez, DG associé de Kaos Consulting, cabinet de conseil en innovation. “Les mots ne sont pas coupables. Il ne faut pas leur faire porter le chapeau de manière inconsidérée, cela peut être contre-productif“, explique-t-il. “Si derrière vous ne changez pas le fond, vous vous exposez à une critique facile de type “Ils ont changé de nom mais, au fond, rien n’a changé”.

L’autre question est celle de la notoriété. Le groupe a été créé en 1989, il y a plus de 30 ans. D’un côté, l’avantage “est de faire table rase sur le digital, sur les moteurs de recherche, d’un passé qui peut être difficile“, avance Nina Derai. De l’autre, “quand vous changez le nom d’une marque, vous effacez 30 ans de notoriété, vous effacez une valeur historique“, tempère Pierre-Louis Desprez.

Cette stratégie de “naming” a été maintes fois utilisée au fil des crises. Areva s’est rebaptisé Orano en 2018 à la suite notamment du scandale d’Uramin. Dans un contexte différent, Monsanto, considéré comme “la pire entreprise du monde” a été rachetée en 2018 par Bayer qui a choisi d’effacer le nom de l’entreprise américaine. Plus récemment Twitter a été rebaptisé X par Elon Musk pour marquer son changement de stratégie. Facebook est devenu Meta quelques mois après le scandale Cambridge Analytica.

Article publié par Marina Fabre Soundron, 21/03/2024, NOVETHIC, https://www.linkedin.com/posts/marina-fabre-soundron-4622ab37_orpea-devient-emeis-changer-de-nom-pour-activity-7176514943372906496-iKh-/?originalSubdomain=fr