Drague

Les quiet parties sont organisées dans des bars branchés sur le principe du silence généralisé. Ça permet de mieux se rendre compte du poids des paroles échangées habituellement.

On vient dans ces quiet parties par curiosité, pour s’amuser avec son meilleur copain ou sa meilleure amie, ou pour draguer comme dans le speed writing où l’objectif est encore plus clairement la rencontre. Interdiction de parler, obligation de communiquer par écrit.

Rideau de silence, chants de mouettes en musique d’ambiance, serveurs n’acceptant que les commandes écrites: le rituel met en valeur les corps, les regards, les petits papiers qui circulent. La puissance de la communication non-verbale est immédiatement vécue et comprise. Chacun est face à la simple question: qu’est-ce que je lui écris? À l’oral, on peut encore parler pour ne rien dire, ici on laisse une trace de soi. On voit ce qu’on écrit, tandis que l’on n’entend pas toujours ce que l’on dit.

– Salut! Alors comment vous trouvez l’endroit?

– Stressant… on est du genre bavardes à la base donc c’est dur…

– J’avoue… c’est pas facile, faut se contrôler pour ne pas parler.

L’écrit enfin joue son rôle: il libère. Chacun est face-à-face, mais l’écriture joue le rôle d’un intermédiaire autorisant une intimité:

– Avant que j’oublie… J’adore ton sourire. (Que de choses que l’on n’ose jamais dire de vive voix!)

– On dirait juste que tu as écrit avec tes pieds! lol.

Cette situation artificielle devient vite insupportable. Les mots sans la parole. On redécouvre la force de l’écriture: un mot trouble parfois plus que tout…

– En fait, c’est la première fois que je viens et je trouve ça chiant. Je préfère parler tout à l’heure.

– Moi aussi c’est la première fois et franchement je m’ennuie.

– Alors à tout à l’heure quand on pourra parler.

– Si tu veux.

« Si les singes savaient s’ennuyer, ils pourraient devenir des hommes. » Goethe

extrait du « traité de tous les noms » Pierre-Louis Desprez & Ivan Gavriloff (Descartes & Cie, 2007)