Mariage d’intérêt : le co-branding

Article paru sur lenouveleconomiste.fr | Par Caroline Castets

Le recours à ces mariages éphémères est en hausse

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Peugeot et Roland Garros, Milka et Tuc, Monoprix et Bensimon… Les associations de marques, qu’elles se résument à une série limitée ou s’inscrivent dans la durée, n’ont rien d’une nouveauté. Voilà des années qu’elles font partie du paysage commercial des consommateurs et de la stratégie marketing des entreprises. Pourtant, le recours à ces mariages éphémères semble aujourd’hui en hausse.

A croire que la saturation de l’offre et l’exigence accrue de la demande ont fait de cet outil d’expression de la marque né des Trente Glorieuses un ressort de communication particulièrement adapté aux enjeux du moment, capable de fidéliser une clientèle et d’en conquérir une autre, de dynamiser l’offre et d’infléchir le positionnement. Le tout sans toucher aux fondamentaux. Idéal.

A l’origine du phénomène, pas de recette miracle mais une logique de mélange des genres qui, bien maîtrisée, garantit à ses utilisateurs non seulement un bénéfice d’image mais un accélérateur de ventes. Directrice du planning stratégique chez 4uatre, Mélanie Bonnet confirme : “Il s’agit d’une stratégie faite pour apporter un plus. Une caution additionnelle.” Que celle-ci vise à confirmer un ancrage ou à surprendre par une nouvelle posture. A élargir le périmètre ou, à l’inverse, à affiner le tir. Quel que soit l’objectif recherché, l’ambition demeure inchangée : enrichir le message sans le brouiller. Mode d’emploi.

Le Plus image
“Pour les marques, l’idée de départ est simple, explique Pierre-Louis Desprez*, expert en branding, innovation et créativité et directeur de Kaos Consulting. Il s’agit d’élargir leur audience en se rapprochant d’une autre marque afin de capter, le temps d’un partenariat, certains des attributs qui leur manquent pour toucher tel ou tel profil de consommateur.” Exemple : Peugeot qui, dans les années 70, incarnait la solidité et le sérieux mais à qui il manquait la dimension sportive nécessaire pour séduire une population plus jeune, plus tournée vers la performance que vers la robustesse.

Le fait de s’associer à Roland Garros, événement sportif par excellence, lui a permis de combler ce déficit. D’infléchir son positionnement en s’adjugeant, un temps, les valeurs d’une autre. Ce que fait depuis des années Coca Light en confiant de façon récurrente l’“habillage” de sa bouteille à des grands noms de la création tels que Karl Lagerfeld, Jean-Paul Gaultier ou Marc Jacobs. “Cela lui permet d’aller chercher les attributs de l’univers de la mode : la beauté, le “tendance” et aussi la minceur, implicitement associée à ces univers”, décrypte Pierre-Louis Deprez. Et ainsi de véhiculer plus que leurs valeurs habituelles de bonheur et d’universalité.

“C’est à cela que sert le co-branding d’image, résume-t-il. A aller chercher les facettes qui me manquent.” A élargir le territoire de marque de manière à séduire de nouveaux publics. Autre initiative : celle de Toyota qui, en 2006, n’a pas hésité à reprendre les codes de la série culte du moment, Prison Break, pour rajeunir le public de sa Yaris. Pour l’expert, l’exemple résume à lui seul les ressorts du co-branding d’image : “Identifier les centres d’intérêt de la cible que l’on convoite et les exploiter.”

Un ressort de communication qui repose sur une logique simple : s’associer à une autre marque, voire à un autre univers de consommation (comme Opel et Durex, la SNCF et Jean-Paul Gaultier…), pour récupérer ses valeurs et, ce faisant, apporter au marché une caution supplémentaire ; de sportivité, de jeunesse, de luxe ou de glamour… peu importe tant que cela permet d’élargir le territoire de marque, aussi bien imaginaire que commercial. Ce qui s’est produit lorsque, en créant la Fiat 500 by Gucci, Fiat s’est assuré une momentanée montée en gamme lui permettant de toucher une clientèle premium, tout comme la Micra Lolita Lempika permettait d’en capter une plus féminine et la Smart Zadig et Voltaire une plus jeune et branchée.

Avantage de cette forme de diversification : elle permet à la fois de surprendre les consommateurs traditionnels et d’en capter de nouveaux en jouant sur la création de complémentarités. “Le co-branding d’image est un déplacement de l’innovation du produit à la marque, souligne Pierre-Louis Desprez. Dès lors, le gain se fait par la puissance de l’image.” Et par l’effet de surprise suscité du fait d’y introduire une nouvelle dimension, apte à l’élargir sans la dénaturer.

De quoi répondre efficacement et à moindre risque aux attentes d’un marché saturé de marques qui, toutes, cherchent à parler au plus grand nombre. Ce que le co-branding permet de faire de façon ponctuelle et, au besoin, récurrente, en adaptant le discours sans noyer le positionnement. En clair, résume Pierre-Louis Desprez, “en créant de la valeur à périmètre constant” via l’introduction d’une dose d’exclusivité.

Le Plus produit
Autre moyen d’y parvenir et d’enclencher ce ressort de consommation bien connu qu’est la notion “d’offre limitée” (en temps ou en volume) : le co-branding produit. Une déclinaison de la même logique visant à enrichir le positionnement pour élargir la cible mais qui, cette fois, se joue sur le terrain de la complémentarité non plus seulement d’image mais d’offre. Sur l’association non plus uniquement de valeurs mais d’expertises “en vue de parvenir à un “plus produit” qu’aucune des deux marques n’aurait pu créer seule et, ainsi, accroître la promesse”, explique Pierre-Louis Desprez qui voit dans le cas Nespresso un parfait exemple de co-branding de l’offre, associant un leader de l’agroalimentaire – Nestlé – et des fabricants d’électroménager pointus – Krupps, Magimix – pour offrir une double promesse au client : “du café de grande qualité obtenu via une machine de grande qualité”. Un procédé une fois encore gagnant-gagnant puisqu’il permet à chacun de se concentrer sur ce qu’il fait de mieux et pourtant, au final, de gagner en valeur.

Même démarche et mêmes effets avec Milka et Philadelphia qui se sont associés il y a quelques années pour concurrencer Nutella. Milka était spécialiste du chocolat, Philadelphia de la pâte à tartiner, à eux deux ils ont offert une double promesse au client : le meilleur chocolat et la meilleure crème, conclut Pierre-Louis Desprez.

Reste, évidemment, pour que cela fonctionne, à ne pas limiter le partenariat au domaine des financiers et des juristes mais à en faire “une affaire de créatifs”. Un impératif qui passe par une véritable collaboration entre les équipes du marketing, de la R&D ; par une démarche conjointe de conception et de développement. Plus contraignant, sans doute, que le co-branding d’image, mais susceptible de doper considérablement l’attractivité de la marque.

Et avec elle, ses ventes. A condition, toutefois, de respecter deux conditions : inscrire le partenariat dans la durée – 3 à 5 ans sont généralement nécessaires pour qu’un co-branding produits porte ses fruits – et surtout, créer la surprise. Comme Starck et Laguiole l’ont fait en créant une collection commune et comme, à l’inverse, RayBan et Roland Garros n’y sont pas parvenus, leurs univers d’origine – ceux du plein-air, du sport… – présentant trop de similitudes pour déboucher sur de véritables complémentarités et donc, créer une réelle valeur ajoutée.

Valeur ajoutée qui se travaille désormais d’autant mieux que, depuis quelques années, la pratique du co-branding s’est sensiblement modifiée.

Le Plus créatif
Directrice associée en charge de la stratégie et du développement chez Blackandgold, Cécilia Tassin est formelle : il y a bien mutation. “La pratique de l’association de marques a connu une nette évolution ces dernières années : elle est passée d’un registre marketing à un registre presque artistique, explique-t-elle. On ne parle d’ailleurs quasiment plus de co-branding mais de “collab” ou “coolab”. L’imaginaire n’est plus le même.” La logique non plus. “Désormais les marques qui le pratiquent n’en font plus seulement un rapprochement de business stricto sensus mais une affaire de rencontres créatives.” Double conséquence de cette évolution : tous les coups, ou presque, sont désormais permis. A commencer par ceux consistant à rapprocher des univers diamétralement opposés et des acteurs au poids totalement disproportionnés.

C’est ainsi que, depuis quelques années, on voit de plus en plus de grands groupes s’associer à des marques beaucoup plus petites, voire confidentielles, “mais réputées plus créatives”. Parmi ces mariages des contraires : Nike et APC, Coca Cola et les marques de skate Stussy, New Era et Bathing Ape, ou encore Petit Bateau et le créateur Kitsuné. Des partenariats à première vue particulièrement déséquilibrés et qui, pourtant, débouchent chaque fois sur d’authentiques collaborations créatives et, à l’arrivée, sur des collections limitées valorisantes pour l’un comme pour l’autre des partenaires, marque installée ou acteur de niche.

“Les premières y gagnent en désirabilité auprès d’un public prescripteur, les secondes y trouvent un écho et une visibilité plus larges”, décrypte Cécilia Tassin. Gagnant-gagnant, encore une fois, et généralement plus enrichissant que du temps où le co-branding se limitait à une apposition de logo… Petit détail révélateur de cette évolution dans les pratiques : le fait que le signe de la collaboration ne soit plus celui de l’addition mais de la multiplication. Un “x” à la place du “+” qui, pour Cécilia Tassin, n’a rien d’anecdotique. “Cela prouve bien qu’on n’est plus dans une logique de simple juxtaposition et que la démarche vise désormais à démultiplier les attributs de chaque marque”, atteste-t-elle.

Ce qui s’est clairement produit lorsqu’une PME lyonnaise spécialisée dans la fabrication de matériel de tennis n’a pas hésité à se rapprocher d’un géant du pneu pour associer l’expertise de celui-ci à la sienne. “Babolat a ainsi commercialisé une chaussure de tennis dont la semelle était fabriquée par Michelin, le spécialiste de l’adhérence, ce qui permettait à l’un de fidéliser ses clients avec une promesse de technologie accrue et à l’autre de surprendre les siens en s’aventurant hors de son univers”, raconte Pierre-Louis Desprez pour qui, plus il y a asymétrie entre les marques, plus les chances de succès sont grandes.

Le Plus pointu
Autre expression de cette mutation en cours et de ses effets sur la créativité des uns et des autres, le fait que de plus en plus de marques cherchent à se rapprocher de personnalités qui, à force de visibilité médiatique, sont elles-mêmes devenues des marques à part entière ; avec tous les attributs que cela comporte. Comme c’est le cas avec Kate Moss, un temps associée à Sushi-Shop, et de Miranda Kerr – mannequin élu “femme la plus sexy du monde” en 2012 par le magazine américain Esquire et épouse de l’acteur Orlando Bloom. En s’associant à elle, le groupe Mango s’est offert “une garantie de glamour et de tendance”, analyse Cécilia Tassin pour qui l’image de Miranda Kerr est tellement positive qu’elle aura permis à cette grande chaîne de prêt-à-porter internationale de se “de-mainstreamiser” le temps d’une campagne.

Ce qui, rappelle-t-elle, est extrêmement important pour les grandes marques : “Toutes veulent gagner en aspérités, en pointu, être moins figées, moins “standard”.” En clair, une fois encore, gagner en exclusivité. Ce qui, lorsqu’on s’appelle Nike, Coca, H&M ou Mango, qu’on collectionne les surfaces de vente et les références, devient pour ainsi dire impossible sans le recours à des personnalités ou labels suffisamment porteurs de sens pour infléchir l’image de la marque. Pour rompre un temps avec son caractère trop universel, trop normatif, trop “pour tout le monde”.

“En leur permettant d’actionner le levier de l’exclusivité, le collab permet aux grandes marques de s’extraire des systèmes rigides et formatés pour y réintroduire un côté niche qui va recréer de l’affinité ; réduire le spectre pour recréer des communautés”, explique Cécilia Tassin pour qui ce type de co-branding inaugure une nouvelle forme de marketing. Le moyen, pour les marques trop installées, de ne pas perdre en attractivité ce qu’elle auront gagné en volumes de vente.

Une perspective qui en pousse de plus en plus à se rapprocher non plus uniquement de célébrités mais, plus pointus encore et donc, plus efficaces comme pourvoyeurs d’exclusivité, d’ “influenceurs” type créateurs encore confidentiels ou blogueurs qui montent.

“Pour les marques, cela revient à s’acheter de la créativité, de l’expertise”, résume Cécilia Tassin. Et surtout, on l’aura compris, à cultiver une dimension “pointue” qui tend à s’émousser avec la taille et le succès. Exemple : Comptoir des Cotonniers qui sort une collection avec Calla “jeune designer prometteur” inconnu du grand public et qui, mieux encore, dépoussière ses classiques en les mettant en scène non pas avec des mannequins – trop mainstream… – mais avec des blogueuses en vue telles que Punky.b.
D’un côté, l’effet porte-voix. De l’autre, l’effet niche. Imparable.