Comment Bret’s a dynamité le marché (endormi) de la chips

Fini l’époque des chips « saveurs nature » ou « nature ». La marque Bret’s propose – avec succès – des tonnes de saveurs, jusqu’au loufoque. Mais le fun a-t-il des limites ?

Dans les rayons de votre supermarché, vous n’avez pas pu les louper. Chaque trimestre, les chips Bret’s gagnent du terrain et remplissent toujours plus les rayons, avec des goûts… surprenants. Saveur pastis, camembert, oignon, chocolat/piment.
Pour le moment, les ventes suivent. La marque a multiplié par 2,5 sa production en cinq ans, le chiffre d’affaires augmente et les chips aromatisées s’imposent de plus en plus sur le goût nature.
Alors, qu’est ce qui rend le fun si rentable ?

Osons le dire : pendant des années, qu’est-ce qu’on se faisait chier au rayon chips du supermarché. Si les débats Pepsi vs Coca-Cola ou Barilla vs Lustucru embrasent les foules, qui a déjà vu un proche défendre religieusement Lays ou Vico ? Même Badoit et San Pelegrino ont leurs aficionados jusqu’au-boutistes. Voilà où l’on en était rendu : l’eau pétillante suscitait plus d’enthousiasme que les chips.

Dans le monde de l’alimentation, on appelle ça « un marché endormi », renseigne Pierre-Louis Desprez, expert marketing chez Kaos : il ne se passe rien, on roupille fort. C’est là que le protagoniste de notre histoire, les chips Bret’s, débarque, dynamite tout ça et met un peu d’ambiance. Fini le rayon à l’ambiance de cimetière et le choix pa-ssio-nnant entre chips « saveur ancienne » et chips « saveur nature ». Car la marque bretonne s’est fait une spécialité de proposer des chips aromatisées, parfois jusqu’au loufoque. Saveur pastis, yakitori, camembert, pizza au feu de bois (oui, c’est précis), poulet braisé… La liste est longue.
« Redonner le pouvoir au consommateur par le choix »

Et les ventes suivent. Bret’s a multiplié son volume de production par 2,5 en cinq ans, passant de 7.000 tonnes en 2018 à 17.309 tonnes en 2023, chiffre Florence Nignon, chargée de communication de la marque. Soit 15 % du marché national, et même 36 % en ce qui concerne le secteur des chips aromatisés. « Elles représentent les trois quarts de notre chiffre d’affaires » précise la représentante.

« Bret’s a redonné le pouvoir au consommateur en lui offrant le choix du goût », s’enthousiasme Pierre-Louis Desprez. Clémentine Hugol-Gential, professeure et spécialiste des enjeux contemporains de l’alimentation à l’université de Bourgogne, voit plusieurs ingrédients (plus consensuels que le goût pastis) à ce succès. « Il y a un côté ludique très apprécié dans l’alimentation. Egalement, comme avec le boom des bonbons acidulés, une ”contre-offensive” sur le healthy. En réponse à cette mode, on va manger des goûts un peu rétrogrades ou bizarres. »
La noblesse retrouvée de la chips

Un côté « plaisir coupable » certes, mais Nathalie Louisgrand, enseignante et chercheuse à Grenoble Ecole de Management et spécialisée dans la gastronomie française, voit aussi « un produit qui joue sur son aspect 100 % Made in France. Des saveurs souvent du terroir – comté, camembert, poulet braisé, Bleu. Bret’s a rendu les chips nobles, en plus d’être funs. »

Le manque de concurrence ayant une identité très marquée « a aussi aidé à s’imposer rapidement, et à être facilement identifié », poursuit Clémentine Hugol-Bential. Autre raison de ce succès fulgurant pour la spécialiste, le boom des réseaux sociaux. De nombreux vidéastes – Mcfly & Carlito (7,36 millions d’abonnés), Le Routin (437.000 abonnés), Gurky Le Murky (267.000 abonnés) se sont amusés dans des concepts où il devait goûter les 376 goûts Brets, de quoi faire une bonne publicité.
Le Covid à la rescousse des chips

La plupart de ces arguments, Bret’s les possédaient depuis longtemps. Si les ventes explosent maintenant, Florence Nignon y voit une raison plus conjoncturelle : « Pendant le confinement, de nombreux jeunes sont retournés vivre chez leurs parents, et ont en quelque sorte importé et fait découvrir la chips aromatisée aux générations plus anciennes, là où c’était pendant longtemps un produit de jeunes. Aujourd’hui, la chips aromatisée est consommée par toutes les générations et n’a plus de saisonnalité. »

Preuve en est, selon le cabinet spécialiste des ventes de commerce NielsenIQ, la moitié de la population achète aujourd’hui des chips aromatisées, un chiffre en constante progression. Toutes marques confondues, elles représentent 42 % du chiffre d’affaires du secteur, avec une croissance de 6.7 % sur un an. Dans le même temps, les chips nature perdent 7 %. La majorité de l’offre en magasin (51 %), ce sont aujourd’hui… des chips aromatisées.
Les meilleures blagues sont-elles les plus courtes ?

Mais jusqu’à quand ? Toujours selon NielsenIQ, le consommateur n’en achète en moyenne que tous les deux mois, pour un budget riquiqui de 15 euros par an. « Généralement, on va prendre une fois le paquet saveur Confits d’oignon pour goûter, pas deux », illustre Clémentine Hugol-Bential. Pour éviter la lassitude, Bret’s sort entre 3 et 4 nouvelles saveurs chaque année. Florence Nignon assume que certains goûts – pastis aujourd’hui, caramel beurre salé ou chocolat/piment par le passé (oui oui) – « ne sont pas destinés à durer, mais servent à faire parler de nous » et à attirer le client vers des saveurs plus consensuelles (le fromage du Jura est la chips Bret’s la plus vendue, suivi de poulet braisé).

Une stratégie viable sur le long terme ? Pierre-Louis Desprez pense au cas Michel & Augustin. Au début, même succès fou dans un marché un peu endormi pour les « trublions du goût ». Mais le groupe vient d’être vendu par Danone, qui ne le trouvait pas assez compétitif après avoir vu les ventes reculer sans cesse. « On peut faire du haut de gamme ou du décalé, mais le prix l’emporte toujours à long terme. Et les chips Bret’s sont plus chères que la moyenne », s’inquiète l’expert. Quant à la drôlerie, il prévient : « Aussi vendeur soit le fun au début, il se consume vite »

Article publié par Jean-Loup Delmas 20 Minutes, 26/05/2024, https://www.20minutes.fr/economie/4091241-20240526-gout-pastis-pesto-camembert-comment-bret-dynamite-marche-endormi-chips