« Le magasin, c’est la tentation ultime ». Pourquoi Primark cartonne autant sans faire de vente en ligne ?
Primark affiche une économie éclatante en France, le tout avec une stratégie 100 % en magasin. Loin des ogres Shein ou Vinted en ligne, la présence physique a de nombreux atouts sur lesquels capitalise l’enseigne.
Chaque année, on l’annonce pour mort. Le magasin physique, tout en pierre et en vêtements à tester en cabine, aurait vécu mais ne pourrait plus lutter contre la vente en ligne. Notamment le dragon à trois têtes Shein, Tému, Vinted. Les morts cérébrales de Jennyfer, Camaïeu, San Marina et autres GAP ne feraient que confirmer la tendance… Qui plus que la mode doit vivre avec son temps ? L’époque est au tout Internet.
Loin de ces discours de croque-mort, en France, 80 % des achats de vêtements se font encore après avoir franchi les portes d’une enseigne. Notamment chez Primark et sa santé éclatante, le tout en ne proposant aucune vente en ligne. Seule timide expérience web (toute récente), le clic and collect. Qui demande là encore de venir en magasin. Débarqué en 2013 en France, le géant irlandais a dépassé le milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2024, avec une croissance de 16 % en un an. Même hausse pour les bénéfices à 15,5 millions d’euros, contre 12,9 millions en 2023.
« La tentation ultime »
Dans la mode, c’est donc paradoxalement dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. « Le magasin, c’est la tentation ultime », se régale Pierre-Louis Desprez, expert en imaginaire de marques. Surtout avec des prix cassés comme chez Primark. « On vient pour trois t-shirts, on repart avec cinq, deux pantalons et un pull… Sur Internet, la tentation est moins forte, les achats sont plus réfléchis. Là, on a fait le déplacement, on veut le rentabiliser » Pour Delphine Dion, professeure de marketing à l’Essec Business School, le consommateur se rêve toujours en Pretty Woman, ressortant du magasin avec trois sacs pleins et des achats plaisir sans queue ni tête, juste parce qu’il peut se le permettre. Le groupe affiche le taux de transformation le plus élevé du marché : huit clients sur dix repartent en ayant acheté.
Une stratégie d’achat compulsif qui rappelle un autre géant des rayons : Ikea. Comme l’ogre suédois, Primark s’implante en France avec quelques magasins, mais énormes en matière de superficie. Plusieurs milliers de mètres carrés « convaincus de leur désirabilité, qui savaient que les consommateurs vont faire le déplacement », poursuit Delphine Dion. Et comme pour Ikea, aller à Primark, c’est avant tout une expérience, une sortie du week-end, l’aventure… « Les magasins sont agréables, les produits mis en valeur, tout est bien indiqué, on trouve de tout », salue Laurence Toy-Riont, Senior Manager chez Pixis Conseils. « Aucune plateforme digitale ne peut reproduire ça », appuie Moïra Cristescu, créatrice de mode de la marque éponyme. Sans compter d’autres avantages : pouvoir toucher le produit, le tester en cabine, checker la découpe. « Primark fait notamment preuve d’une inclusivité réelle dans ses tailles et ses produits », relance l’experte mode.
L’esprit léger, sûr de faire une bonne affaire
Avec des magasins aussi gargantuesques – chacun représente des investissements extrêmement lourds, de 10 à 15 millions par ouverture, selon la Senior Manager –, « ils ne peuvent pas ouvrir n’importe où, n’importe comment ». Donc « chaque ouverture est extrêmement réfléchie, dans un lieu ultra-stratégique, souvent en plein centre-ville. » Le groupe ne compte « que » 29 magasins en France, loin de Kiabi (352 magasins) ou Pimkie (189).
« On y va l’esprit léger, sûr de faire une bonne affaire », relance Delphine Dion. Et avec un renouvellement en permanence (on parle quand même d’une enseigne de fast-fashion), « il y a toujours cette peur : si vous ne prenez pas l’article aujourd’hui, il ne sera plus là demain » Ce n’est pas cher, pourquoi hésiter ?
Question de coût
Dernière comparaison avec Ikea : Primark a cassé l’idée que le pas cher est forcément moche, et que le beau coûte une blinde, abonde Pierre-Louis Desprez. « Ce n’est pas parce que vous avez un tee-shirt à 3 euros que vous ressemblez à un pauvre » Les multiples franchises – Disney, Hello Kitty, Pokémon – permettent également de rehausser à moindres frais la désirabilité du produit. Car si le prix est essentiel, « il ne fait pas tout, assure Moïra Cristescu. Primark mise aussi sur l’esthétique. »
On pourrait bien sûr se pencher des heures sur le « modèle » de fast-fashion que représente Primark (qui passe mieux entre les gouttes que Shein), les conditions intenables que l’enseigne impose à la concurrence avec des prix dérisoires… Mais la vraie leçon est sans doute ailleurs. « Le modèle Primark montre que le digital n’est pas miraculeux. Oui, c’est facile quand on envoie de Chine. Mais sinon, cela coûte de l’argent. Sur Internet, ce qui fédère les achats, c’est la communauté, il faut donc des community managers, les payer, faire de la publicité… », philosophe Pierre-Louis Desprez. « Certains magasins, qui ont voulu un modèle hybride mi-internet mi-physique, y ont laissé des coûts et des plumes »
Primark n’a quasiment aucun budget communication. Vous ne verrez aucune publicité. Et tant qu’on est dans les coûts, le 100 % physique diminue le nombre de retour produit : 3 % seulement, contre environ 20 % pour le commerce en ligne, assure Laurence Toy-Riont. L’expert en imaginaire conclut : « Quoi qu’on dise, on reste des animaux émotionnels. Et voir concrètement les choses, les toucher, ça nous touche plus. »
Article publié par Jean-Loups Delmas, 20 MINUTES, le 01/11/2025, https://www.20minutes.fr/economie/4181088-20251101-magasin-tentation-ultime-comment-primark-cartonne-autant-faire-vente-ligne