Il faut beaucoup de chaos dans la tête pour accoucher d’une étoile qui danse

Au début de toute entreprise il y a une idée innovante. Comment la pérenniser? Une idée, des compétences, du capital : telle pourrait être la définition de l’entreprise.

La Manufacture des Armes et des Cycles de Saint-Etienne a inventé au milieu du XIXème siècle la vente à distance par le biais d’un catalogue. La Redoute, puis 3 Suisses ont appliqué l’idée à la mode et à l’équipement de la maison. Ventes-privée.com vend des marques de mode sur internet à prix réduit. Sarenza s’est spécialisée dans la vente de chaussures. Ces entreprises, outre le fait qu’elles vendent de la mode à distance, ont toutes un point commun : leur créateur a d’abord eu une idée pour fonder une entreprise. Puis la valse des technologies les a rendues obsolètes : 3 Suisses vient (enfin) d’arrêter son “big book”, le catalogue qui a paru durant 80 années deux fois par an. A l’époque des martphones, qui a encore envie de s’infliger un catalogue 1300 pages pour faire ses achats? Pérenniser l’entreprise c’est adapter l’idée d’origine aux technologies et aux conditions de vie des clients. Aucune marque, si légendaire soit-elle, ne peut sauver un modèle économique obsolète.

“Il faut beaucoup de chaos dans la tête pour accoucher d’une étoile qui danse.” Friedrich Nietzsche.

Cette idée fondatrice peut venir d’un autre marché : Chateaudeau a importé des Etats-Unis le modèle de Culligan. Parfois l’idée est une véritable rupture qui semble tombée de la planète Mars : le Velib est le fruit de l’imagination des équipes de Jean-Claude Decaux. Ils ne l’ont pas eu en benchmarkant des vélos hollandais ni des vélos chinois.

Copier son concurrent en vendant moins cher, c’est également une idée : Easyjet est devenu la deuxième compagnie d’aviation en Europe en quelques années, imposant à ses concurrents, dont Air France, de bâtir des offres low cost (Hop!). Les distributeurs l’ont également compris depuis longtemps en copiant à moindre coût les produits des marques nationales, pusi en créant de véritables marques propres, comme Decathlon.

“Idée” est donc synonyme d'”innovation”. Il ne s’agit pas de l’idée chère aux intellectuels, tel le concept abstrait en philosophie, mais d’un point de vue, d’une vision. Steve Jobs racontait qu’avec Steve Wozniak, son associé fondateur, il voyait littéralement devant lui l’ordinateur qu’ils n’avaient pas encore fabriqué. Puissance de l’imagination et de la vision créatrice! De même que l’ébéniste doit avoir l’idée d’une table pour fabriquer une table, de la même façon Jobs et Wozniak ont commencé par visualiser leur premier ordinateur.

Cette vision qui précède l’expérience évolue au cours de sa réalisation. L’entrepreneur est comme un architecte : les plans sur papier ne sont jamais respectés à la lettre, car le terrain, la résistance des matériaux, les conditions climatiques, l’avis du client, le coût des matériaux etc. occasionnent sans cesse des adaptations.

L’inépuisable source d’idées nouvelles de Google

Google est devenue l’une des entreprises qui fait le plus autorité en matière d’idées innovantes. Quel est le lien entre le moteur de recherche, Adwords, Picasa, Gmail, la voiture autonome, les lunettes Google, Google traduction, Google Pay, Google Health etc. ? Les équipes dirigeantes de Google partagent une certaine idée rêvée de l’homme du XIXème siècle. Elles ont en commun une vision de l’homme, puisée en partie dans le mouvement transhumaniste qui pense et promeut le modèle d’une humanité augmentée, hybride entre l’humain et le robot, mélange de chair et d’algorithmes. Le foisonnement entrepreneurial de Google est généré par ce projet fou. Tous les grands entrepreneurs ont été portés par un projet s’adressant au plus grand nombre. Moulinex a voulu libérer la femme des tâches ménagères manuelles, L’Oréal veut valoriser toutes les femmes du monde entier, l’avion veut abolir les distances pour chacun : aucune innovation n’est possible sans un projet ambitieux, universel, incroyable.

Le pire pour une entreprise est donc d’avoir du capital, des compétences mais d’être en panne d’idées. L’économie, avant d’être capitaliste, est toujours une affaire d’entrepreneurs inspirés.

Comment trouver une bonne idée innovante ?

Trop souvent on confond “bonne idée” et “idée nouvelle”, comme s’il fallait intensément réfléchir pour produire d’emblée la bonne idée. Erreur!

Pour produire du nouveau, il faut accepter d’utiliser le chaos que nous avons dans nos têtes. De ce chaos quelques bribes vont surnager, quelques idées vont s’agréger et prendre forme pour aboutir à une idée robuste. La bonne idée sort de la profusion, de mille tentatives, d’un incessant aller-retour entre l’imagination et la pratique. C’est pourquoi la créativité collective est plus efficace que la créativité individuelle. On est bien plus performant en groupe pour produire beaucoup d’idées nouvelles que ne l’est une seule imagination isolée, mis à part le cas rare des inventeurs de génie.

Bien souvent, la bonne idée est une combinaison entre de multiples expériences. Plus on fréquente d’univers différents, plus on a de chance d’accoucher d’une idée d’entreprise innovante. Un professeur de Harvard expliquait autrefois que les entrepreneurs étaient foncièrement des “displaced people”, c’est-à-dire des individus qui avaient eu des accidents de parcours (immigration, maladie grave, rupture familiale, carrière contrariée etc.).

Et moins on en sait, moins a peur d’imaginer ce qui deviendra peut-être l’idée du siècle. Avant de fonder Apple Computers Steve Jobs a appris la typographie mais ne s’est pas formé chez IBM. Comme il n’y a aucune règle pour réussir, on voit inversement tous les jours des collaborateurs qui quittent leur entreprise pour fonder leur propre entreprise. Au début de années 1990 Philippe Dumont a fondé l’une des premières marques de cosmétiques pour hommes, NICKEL. Il travaillait précédemment chez L’Oréal où son idée n’avait guère retenu l’attention. Dans une entreprise dédiée aux cosmétiques féminines, comment faire valoir une idée d’offre réservée aux hommes?

S’il faut enfin trouver un point commun entre toutes les idées innovantes qui se sont avérées bonnes, c’est l’adhésion d’un nombre suffisant de clients. La différence entre une idée et une innovation, c’est qu’on aime écouter les idées mais qu’on paie rarement pour cela, tandis qu’une innovation réussie se traduit toujours par une sanction économique positive : quand un, puis dix, puis mille, puis cent mille clients sont prêts à payer pour une bonne idée, c’est que l’innovation a trouvé son marché.

 

Cinq techniques de créativité collective pour innover

Fixez vous des défis passionnants et fous : rêvez large, voyez grand, multipliez par dix, cent, mille votre objectif ! Sinon, vous produirez de “petites” idées à très court terme qui n’amélioreront pas la vie de vos clients.

Jouez aux martiens, oubliez votre côté terrien, celui qui sait tout, a tout vu et tout essayé : qu’est-ce qui vous étonne quand vous regardez vos produits, vos équipes, votre système de prise de commandes, vos machines, votre site web etc. ? Enchaînez les pourquoi? pourquoi? à la manière d’un enfant.

Mettez vous dans la peau des clients que vous désirez conquérir : quand vous avez quitté votre costume, regardez votre offre : qu’en pensez-vous? que vous dîtes-vous? que ressentez-vous? Qu’est-ce qui manque à votre offre pour donner envie à vos clients désirés de passer à l’acte d’achat?

Cherchez des analogies : quelle autre entreprise dans un autre domaine d’activité que le vôtre a réussi à innover avec un défi similaire? Puis transposez en adaptant la recette de leur succès. Choisissez cinq, dix, quinze analogies dans tous les secteurs : vous sortirez enfin de vos sentiers battus et du scepticisme ambiant.

Mettez-vous dans la peau des “jeunes” champions de l’innovation : et si vous étiez Google, Amazon, Facebook, Apple ou une start-up innovante….comment innoveriez-vous dans votre entreprise? Ouvrez les fenêtres, changez d’air, prenez-vous pour un autre, car vous êtes à vous-même votre premier obstacle !

 

Rester créatif tout au long du process pour faire réussir l’innovation.

La créativité ne se réduit pas à la phase initiale de génération d’idées. Les véritables entrepreneurs qui passent plus de temps à vouloir changer les choses qu’à se plaindre de leur environnement ont compris viscéralement que la créativité c’est partout, toujours, en toute situation.

Imaginez par exemple le meilleur café du monde encapsulé dans des petits contenants en aluminium. Si vous oubliez de demander à Magimix ou à Krups de fabriquer la machine permettant non seulement d’utiliser votre brevet mais de donner confiance aux clients, vous passez à côté de l’une des innovations les plus célébrées et enviées aujourd’hui dans le monde : le système Nespresso. Vous avez donc la bonne machine avec la bonne marque, et vous pensez la vendre chez Carrefour. Erreur! Vous tuez votre innovation de rupture en la noyant dans un univers mass market qui a éduqué les clients à comparer sans cesse les prix. Comment espérez-vous vendre votre café 70 € le kilo dans un tel circuit? Donc vous pariez sur la vente par internet. Vous savez ensuite que vous devez soutenir votre marketing par une publicité qui crée une image attractive… Vous suffit-il de bien photographier votre machine avec une tasse en porcelaine blanche d’où sort la fumée d’un café onctueux? Vous n’auriez aucune chance de faire percevoir votre différence à votre cible féminine… Donc vous faîtes appel à Georges Clooney, symbole universel de séduction. Et quand plus tard vous voulez vendre votre système aux Etats-Unis où le café se boit à l’américaine et jamais “stretto”, vous poursuivez encore votre créativité en proposant des expressos longs. NESPRESSO est l’histoire d’une créativité continue de A à Z. Et ce n’est sans doute pas fini!

Cette innovation à 360° devrait inspirer tous ceux qui veulent faire rentrer avec un chausse-pied du nouveau dans de vieux tuyaux parce qu’ils ont arrêté de travailler en créativité.

Une entreprise sans stock d’idées n’a plus d’avenir.

“Je cherche la seconde bonne idée!” me déclara un jour un dirigeant de PME. Superbe! La bonne idée de départ n’est jamais un gage de pérennité. Une entreprise en bonne santé doit consacrer des ressources régulières pour chercher de nouvelles idées d’où naîtront régulièrement quelques bonnes idées innovantes trouvant leur marché. Extension de gamme, changement de cibles clients, usage d’une nouvelle technologie, amélioration des modes de fonctionnement, partenariats, nouveaux circuits de distribution, ajout de services dans l’offre, acquisition d’un nouveau métier, stratégie de marque, changement de modèle économique : les leviers de l’innovation sont multiples. Trouvez le vôtre! Donc cherchez-le! Faîtes comme Ticket Restaurant, créée dans les années 1950, et qui délivre aujourd’hui plus de 300 produits dans le monde.

Quand une entreprise cesse de chercher du nouveau, elle se condamne à disparaître. Kodak, Panam et tant d’autres ont failli pour ne pas avoir mis en œuvre suffisamment d’innovations. A contrario Samsonite, Monoprix, Pilot, Playmobil, Essilor ou Urgo nous indiquent le chemin vertueux de la pérennité : toujours chercher plus de nouveau.

Le pire, finalement, c’est d’entendre un dirigeant avouer qu’il est sec, qu’il ne voit pas, qu’il n’a pas les équipes qu’il faut, que c’est impossible etc. Dans sa tête et sa communication il a renoncé. Il ne désire plus le nouveau. Il devrait au contraire créer les conditions (organisation, management, ambiance, reconnaissance, droit à l’erreur) qui donnent confiance aux équipes et les stimulent à générer constamment du nouveau pour les clients, avec les fournisseurs, les partenaires et tout l’écosystème de l’entreprise. Si Saint Gobain en était resté à la fabrication des miroirs pour Versailles ou Hermès à celle des selles de cheval, ces entreprises aujourd’hui mondiales auraient depuis très longtemps déposé le bilan.

 

Divergez, convergez, essayez

Ce sont les 3 temps de la créativité collective qui génère des innovations pour les clients

  • Divergez : sortez du cadre, oubliez les benchmarks, restez curieux des innovations qui sortent dans tous les secteurs.
  • Convergez : écoutez votre intuition, celle des autres, vos envies, vos passions et faîtes d’une vague idée un diamant
  • Essayez : testez vite, faîtes des aller-retour jusqu’à ce que vous voyiez dans les yeux de votre client une surprise, une émotion positive, une envie.

 

Pour aller plus loin

Une fourmi de 18 mètres. ça n’existe pas. La créativité au service des organisations. Ivan Gavriloff & Bruno Jarrosson – Dunod.

Idées : 100 techniques de créativité pour les produire et les gérer – Guy Aznar – Eyrolles.

Pierre-Louis Desprez & Georges Lewi, La Marque – Vuibert.

Innovation Jugaad. Redevons ingénieux ! Navi RadjouJaideep PrabhuSimone Ahuja – Diateino.

http://edwdebono.com/lateral-thinking

http://blogs.hbr.org/michael-schrage/