Pourquoi la Fête des célibataires en Chine n’arrive pas à émerger en France et ne fait pas un carton commercial ?
Le 11 novembre, c’est la fête des célibataires en Chine, journée où le nombre d’achats en ligne dépasse celui du Black Friday. Mais cette tradition récente n’émerge pas en France.
Loin de Verdun, des champs de la Marne et des tranchées, le 11 novembre correspond en Chine à la « fête des célibataires ». Un petit trait d’esprit autour du quadruple 1 que contient la date du 11/11, représentant l’individualité. A cette occasion, la plupart des sites de vente en ligne, notamment le géant national Ali Baba, jouent la carte des prix cassés pour que les célibataires du pays s’offrent des auto-cadeaux. Effet réussi : les ventes augmentent chaque année et dépassent en Chine les niveaux du Black Friday.
Si ce succès national est incontestable, la fête peine à dépasser les frontières du pays. En France, on ne constate pas de soubresaut économique particulier lors de cette journée, et la carte bleue des célibataires tricolores traversera probablement ce samedi comme un fantôme. Pourtant, d’autres greffes – Halloween ou le Black Friday, pour ne citer qu’elles – ont plutôt bien fonctionné par le passé.
Choix de date douteux
Alors, pourquoi pas le Single Day ? Déjà, la date du 11/11 est déjà prise avec un petit évènement historique européen dont vous avez sans doute entendu parler, l’Armistice de la Première Guerre Mondiale. « Tous les Poilus sont morts et l’événement a plus d’un siècle, mais la date reste historiquement très marquée en France, difficilement remplaçable ou superposable », rappelle Pierre-Louis Desprez, directeur général de Kaos, cabinet spécialisé en innovation et en marketing.
Le principe même de faire une fête des célibataires le 11.11 repose sur une mécanique assez méconnue en Occident, souligne de son côté Dominique Desjeux, anthropologue de la consommation : « Les jeux de mots sur les chiffres et la surimportance qu’on leur donne sont moins ancrés dans la culture française, où les fêtes ont plus un lien avec la religion ». L’exemple parfait : Halloween, qui s’est greffé à la Toussaint. « Les rites ne se transfèrent pas comme ça d’un pays à l’autre, il faut qu’il y ait un minimum de points d’accroche », poursuit l’anthropologue.
Pourquoi fêter à nouveau l’amour en France ?
Et puis une fête en référence à l’amour, c’est bien gentil de nous le proposer, Pékin, mais on a déjà la Saint-Valentin, rappelle Pierre-Louis Desprez. Pourquoi pas deux, une pour les célibataires et une pour les amoureux ? « La thématique est moins forte en Occident, avec un contrôle social moins fort et une pression moins contraignante de l’Etat sur les célibataires », précise François Kraus, directeur du pôle Politique/Actualités à l’Ifop et en charge de la thématique Genre, sexualités et santé sexuelle.
Difficile en effet de décorréler le succès de la fête des célibataires à la politique interne chinoise, qui fait du couple le nec plus ultra de la vie (avec l’amour de la patrie, faut pas déconner). Dans le Single Day chinois, il y a certes l’idée d’un joli pied de nez à cette pression sociale, mais aussi la volonté que les auto-achats servent à se vendre, pour « enfin » sortir de ce fameux célibat. Ainsi, la meilleure vente du Single Day 2014 concernait un masque vapeur pour les yeux, en 2016 une brosse nettoyante électrique pour le visage, et en 2019 des compléments alimentaires.
A l’inverse, en Europe, la pression du mariage et de la famille n’est clairement pas la même. François Kraus : « Il y a aussi plus de difficulté dans les sociétés confucéennes à aborder l’autre sexe et à échanger socialement avec des non-proches que dans nos pays latins, d’où la prédominance de cette fête en Chine et le fait qu’elle n’émerge pas chez nous, où on n’en aurait pas tellement besoin ».
La faiblesse du soft power chinois
En voilà des arguments franchement convaincants. Mais pourquoi louper un jour d’achats frénétiques dont on est pas mal friands d’habitude, a fortiori en période d’inflation ? « Il est très probable que la plupart des Français ignorent l’existence même de cette fête. Les rares traditions que nous avons importées viennent des Etats-Unis ou d’autres pays européens, avec une culture beaucoup plus proche de la nôtre et un soft power plus important que la Chine », analyse Dominique Desjeux.
Ça commence à faire beaucoup. Et quand bien même le Single Day avait coché toutes les cases, il n’est pas si simple pour une fête de s’imposer. Même Halloween décline en France après sa percée dans les 1990, note Pierre-Louis Desprez : « C’est pareil avec la Fête des voisins, qui s’est vite estompée… Il est très dur de faire naître une tradition. C’est un petit miracle que cela fonctionne en Chine. Alors l’importer en Occident en serait un deuxième. » Allez, pour les célibataires ce samedi, à défaut d’avoir des promos de dingue, rappelez-vous qu’on est mieux seuls que mal accompagnés.
Article publié dans 20 Minutes par Jean-Loup Delmas, https://www.20minutes.fr/economie/4061724-20231111-e-commerce-pourquoi-fete-celibataires-chine-arrive-emerger-france