Le branding des power couple : 1+1 = 3

Ils sont beaux, riches, célèbres… Et tout semble leur réussir. Aux États-Unis, on appelle power couples ces couples dont les partenaires, aussi puissants l’un que l’autre, font équipe pour décupler leur notoriété et agrandir leur champ d’action. Comment fonctionnent ces alliances? Enquête sur ces duos à l’efficacité redoutable.

Quelle est votre définition du « power couple » ? Quels sont les ingrédients d’un bon « power couple » ? 

Le power couple est un cobranding, comme Starbucks et Spotify, Apple et Hermès qui associent leur marque pour faire plus ensemble que chacun séparément. On applique une des règles du marketing produit à deux célébrités : 1+1 = 3. Ca donne Brangelina (Brad Pitt + Angelina Jolie) ou Bennifer (Ben Affleck et Jennifer Lopez). Comme Nike + Magic Jordan = Nike Air.

La recette est simple mais élimine de nombreux prétendants : associer deux célébrités, déjà très notoires, très médiatisées, très socialisées chacune de leur côté, pour créer une nouvelle marque, le power couple. Avec à la clé une augmentation de l’audience individuelle de l’un et de l’autre, donc des revenus financiers supplémentaires.

Pourquoi ces couples fascinent-ils le public? Comment expliquer leur succès dans le champ médiatique ? 

C’est simplement la forme contemporaine du conte de fées. Enfant, on croit que le prince charmant délivrant la princesse emprisonnée existe. Plus tard, on sait qu’il n’existe pas, mais on continue de croire à l’histoire. La puissance médiatique actuelle se nourrit du même ressort psychologique : notre besoin d’identification à un autre idéalisé, ici à un couple ayant une existence dorée. Avec un degré de vraisemblance supérieur : nous savons que Prince Philip n’existe pas tel quel, mais on peut aller à un concert de Jay-Z ou de Beyoncé « pour de vrai ».

Le phénomène est-il en partie lié aux évolutions de la place de la femme dans la société (après être restée dans l’ombre, elles sortent de la lumière et développent plus fortement leurs carrières) ? 

C’est d’abord une preuve supplémentaire que la marque a encore gagné du terrain en annexant des couples et en les instrumentalisant ! Ce phénomène de branding extensif n’est – malheureusement – en rien le signe d’un progrès, qu’il s’agisse d’une vie d’homme ou de femme : personne n’en devient meilleur ni surtout plus libéré !

Médiatiquement, pourquoi est-on plus fort à deux que tout seul ? Que gagnent-ils à faire équipe et à construire leurs carrières ensemble plutôt qu’individuellement ? Sur le plan de la communication, quels intérêts stratégiques une célébrité a t-elle à mettre en avant son couple ?

Parce qu’à deux on affole encore plus les compteurs que tout seul de son côté : plus de vues sur Youtube, plus de followers sur Insta, plus de like, plus de partage de lien, plus de retweet etc. : c’est la règle de cumul des audiences. Les labels qui s’intéressent doublement à vous rivalisent entre eux avec les avances sur droits d’auteur, les marques proposent plus de contrats publicitaires, les centrales d’achat d’espace valorisent plus cher les premières secondes durant lesquelles le youtubeur subit une pub pour Toyota : en résumé, votre côte augmente. Pas forcément votre amour pour l’autre qui devient un fournisseur dont vous êtes le client …

Peut-on vraiment construire un power couple indépendamment des sentiments eux-mêmes ?

Comme certaines marques qui maquillent la réalité d’un produit ! Peu importe si la romance est vraie et durable ou temporaire et tactique, il suffit d’un brainstorming avec de bons marketeurs, quelques spin doctors qui ont compris les fondamentaux du storytelling et de la communication émotionnelle, du culot et une orchestration digne du lancement d’un possible block-buster ! Essayez de démêler le vrai du faux, le possible du vraisemblable dans la relation du couple, puis non-couple, et peut-être du re-couple Aya Nakamura et Niska ! Le vrai compte moins que l’invérifiable, le tweet fait office de sincérité. Et les ventes de disques des deux complices ont bénéficié de ce storytelling qui fonctionne comme un booster.

Sans le rôle des réseaux sociaux, cela serait-il possible ?

Les réseaux sociaux nous ont fait perdre de vue la profondeur historique d’un propos. Durant la dernière campagne présidentielle américaine Hillary et Bill Clinton ont quand même réussi à nous faire oublier l’affaire Lewinsky et le fait que Clinton fut le second Président des Etats-Unis frappé d’impeachment après Nixon pour se présenter comme un couple solide, expérimenté, rompu aux affaires internationales. Le storytelling reconstruit des histoires crédibles en dépit de la vérité historique.

Quels sont les risques ?

Que le power couple explose, bien évidemment, pour une simple affaire de sentiment (Johnny Depp et Vanessa Paradis en leur temps) ou de sexe mais aussi, plus stratégiquement, pour une affaire d’intérêts : une célébrité peut en chasser une autre ! Le secret c’est de durer, disait déjà Goethe. Mais comme la règle du milieu c’est « take the money and run », l’explosion d’un power couple ne nuit pas aux monstres sacrés. Le jeu c’est aussi de reconstruire une autre paire, plus bankable, comme lorsque Adidas signe avec Pharrell Williams après Kanye West.

Quant aux « vraies » personnes qui vivent derrière les masques médiatiques, le risque est différent : leur fragilité est souvent plus importante. La presse people lèche, lâche et lynche, et beaucoup s’en régalent, c’est la règle de ce jeu-là.

Quels sont à vos yeux les exemples les plus emblématiques/intéressants ces dernières années ? 

Sans doute Bill et Melinda Gates au-travers de leur fondation car, au-delà de l’intérêt fiscal d’avoir légué leur fortune à une fondation, ils consacrent effectivement leur vie et leur argent à améliorer les conditions de vie d’autrui. Il ne s’agit pas d’un retour d’une morale bien-pensante mais d’un constat sur à qui profitent leur gloire et leur argent.

Pierre-Louis DESPREZ

https://www.pointdevue.fr/personnalites/les-couples-de-pouvoir-les-nouveaux-heros-des_11803.html