Naoshima, mon amour.

La mer intérieure pourrait être méditerranéenne. Le ferry serait grec – un bateau blanc glissant entre les Cyclades.

 

La mer chaude, une brise, des plages minuscules et désertes. Arbres-bonsaïs taillés selon la forme de la colline. Rien ne sera laissé au hasard de la nature.

 

Nous sommes dans la mer intérieure de Seto, au Japon. C’est Naoshima, à l’est de Kyushu : une île dédiée à l’art contemporain.

 

Les potirons-coccinelle attendent les visiteurs sur le petit port. On y entre, on y joue, on s’y laisse photographier. Vite, le bus va partir. Il nous arrêtera devant les musées de l’île. Aucun autre arrêt. La pêche ne fait plus vivre l’île depuis longtemps. L’art a pris le relais avec les maisons d’artistes, inspirées par le génie des lieux, et les musées d’art contemporain.

 

On se laisse guider le long d’une mare remplie de nymphéas. Les cigales chantent, d’un ton plus grave que d’ordinaire. Presque tristes. On se sent en Provence, quand la canicule pèse sur la forêt.

 

On cherche un bâtiment, un toit, un logo, un musée.

 

Rien.

 

Puis une enfilade entre deux murailles de béton, et une bouche sombre au fond. Voici l’entrée de Chichū, littéralement “le musée d’art dans la terre”.

 

“Repenser la relation entre la nature et les personnes”, c’est le projet de l’architecte qui a conçu ce musée enterré dans une colline, Tadao Andō. Architecte autodidacte, ancien boxeur, admirateur de Le Corbusier. Il travaille avec le béton, la lumière, la nature. C’est tout, – aucun artifice.

 

3 artistes présentés, Monet, De Maria, Turrell. Moins de dix œuvres exposées. On pourrait en loger dix fois plus.

 

Chichū est un musée enterré sans aucun éclairage artificiel. Seule la lumière du jour arrivée d’on ne sait où éclaire les nymphéas de Monet et se reflète dans la sphère parfaite de De Maria.

 

L’œuvre, c’est aussi (et surtout?) le bunker d’Andō. Avec cette saillie horizontale au milieu de la paroi de béton haute d’une dizaine de mètres. Comment le bloc supérieur se tient-il en apesanteur, sans aucune colonnade? Seul le plan de l’architecte pourrait le dire. L’art ne s’explique pas, il s’éprouve, se ressent, se pense, et ne se laisse jamais définir.

 

Enfin, cette pièce blanche, avec l’ouverture vers le ciel. La pièce la plus spectaculaire, faite de rien. Un simple carré découpé dans le plafond laisse apparaître le ciel. Après la prouesse technique de la structure béton, c’est le vide, ou presque. On s’assoit, les yeux vers le ciel. On médite, on oublie ce qu’on sait.

 

Interrompre ses pensées, être là, simplement.

 

En pleine grisaille, – ce béton si élégant et pourtant si pesant – l’espace devient lui-même œuvre d’art. Une pièce animée par la seule force de l’idée : mettre l’homme en lien avec le ciel, par tous les temps, toutes les heures du jour et de la nuit.

 

Le sens, mettre le sens en pause, cesser de questionner, de chercher à comprendre, pour accueillir l’esthétique, la sensation, le moment. Au fil du ciel qui se transforme et des saisons. Du minimalisme dans sa pureté absolue.

 

Est-ce une île consacrée à l’art ou à la paix intérieure ?