Qui est Zorro ?

En 1958, Romain Gary reçoit le prix Goncourt pour Les Racines du ciel, publié chez Gallimard. L’idée lui vient de changer de nom, alors qu’il a déjà publié une vingtaine d’ouvrages! Il écrit ainsi Gros câlin sous le pseudonyme d’Émile Ajar et l’envoie sans se faire connaître à Gallimard. Le manuscrit est refusé et publié par Le Mercure de France. Le livre reçoit un bon accueil de la part de la critique.

En 1975, Gary écrit, toujours sous son pseudonyme, La Vie devant soi et décide de donner un visage à Émile Ajar, avec la complicité de son neveu, Paul Pawlovitch. En novembre de la même année, Ajar reçoit le prix Goncourt. Ce prix ne pouvant être attribué qu’une seule fois à un même écrivain, Gary demande à son cousin de refuser le prix… Malgré tout, le roman connaît un énorme succès, puisqu’il sera vendu à plus d’un million d’exemplaires et traduit en vingt-trois langues. Avant de se suicider en 1980, Gary écrit de façon énigmatique: « Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. »

Un an plus tard, un communiqué de l’AFP dévoile la véritable identité d’Émile Ajar.

La supercherie donne à réfléchir sur ce qu’est un nom d’auteur, par rapport à un nom propre relevant de l’état-civil: c’est une étiquette fonctionnant comme une marque commerciale. On va voir un Woody Allen, et non pas un film réalisé par un dénommé Woody Allen. On lit le dernier Delerm, et non pas un livre dont l’auteur est Philippe Delerm. Il n’y a plus de différence entre le dernier Woody Allen, le dernier Delerm et le dernier ordinateur Vaio de Sony. Dans les trois cas, les mots sont devenus de purs signes, symbolisant une promesse: retrouver l’univers du cinéaste, découvrir les petits textes soignés et nostalgiques de l’écrivain, tester la créativité de l’entreprise japonaise en matière d’ordinateur.

extrait du « traité de tous les noms » Pierre-Louis Desprez & Ivan Gavriloff (Descartes & Cie, 2007)