ARTHUR ANDERSEN : retour d’enfer.

Les dirigeants associés de WTAS (cabinet de conseil fiscal basé à San Francisco) viennent de racheter la marque ANDERSEN qu’ils ont fait évoluer en ANDERSEN TAX. Ils sont issus du “fameux” cabinet d’audit qui fit faillite après l’implication du bureau de Houston dans le scandale ENRON en 2002. Bien qu’ils assurent avoir sondé un panel d’anciens clients et de prospects avant de prendre leur décision, n’est-ce qu’un coup de pub dément?

 

We plan to reclaim a cherished legacy of integrity and independence that have served as the foundation of both WTAS and Arthur Andersen.” En clair, ils paient pour une valeur morale (l’intégrité) et un principe déontologique (l’indépendance), dans l’espoir évident de booster la réputation de leur cabinet. L’information a d’ailleurs déjà fait le tour du monde et un ancien membre de la SEC, le gendarme de la Bourse américaine, s’en est déjà “ému”.

 

We recognize that embracing our new name is a bold move” : courageux, en effet, mais peut-être pas si fou qu’on pourrait spontanément le penser.

 

L’affaire ENRON s’est produite il y a plus de dix ans, le trafic des comptes et la destruction de documents comptables fut l’œuvre isolée d’une brebis galeuse au sein du groupe mondial ANDERSEN. Depuis lors la planète a assisté à d’autres scandales bien plus retentissants : faillite de LEHMAN, sauvetage de banques par les Etats, nationalisation forcée de Fannie Mae et Freddie Mac, amende de 17 milliards $ infligée à Bank of America pour sa responsabilité dans la crise des subprimes, etc. Une catastrophe en chasse une autre!

 

D’où surgit une question : peut-on faire revivre une marque après que l’entreprise qui la possédait a été détruite par un scandale? Réponse : oui, c’est possible mais c’est sportif…

 

La mémoire a la faculté d’oubli.

La plupart des gens s’adonnent au mirage d’une double croyance : ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des nations) et à la possibilité de réparer (des actes, des erreurs, des péchés, des torts). L’une est aussi fausse que l’autre. La vérité se situe juste à l’opposé : tout sera oublié et rien ne sera réparé. Personne ne réparera les torts commis, mais tous les torts seront oubliés.” Milan Kundera ne pouvait mieux exprimer l’illusion de la réparation et le rôle salvateur de l’oubli que dans cet extrait de… La Plaisanterie. Pour le coup, les dirigeants de WTAS ne plaisantent pas : ils parient sur le fait que la valeur d’intégrité cultivée et transmise par Monsieur Arthur Andersen, immigré norvégien fondateur de la société d’audit en 1913, est plus robuste que la faute fatale commise avec ENRON. De fait, pourquoi ce qui est vrai pour les individus (il suffit de voir le retour d’enfer dont sont capables certains politiques, hommes publics, sportifs, artistes etc.) ne le serait pas pour les marques?

Les associés de WTAS, qui eux n’avaient pas failli, ont sans doute le désir inconscient de réparer la marque ANDERSEN. Illusoire, comme le dit Kundera, mais trop humain. Pour une société de services délivrés par des femmes et des hommes, la réputation se construit par les comportements. Les intègres côtoient les pourris, comme dans un film. Les premiers doivent-ils payer pour les seconds, d’autant que le jugement condamnant le cabinet de Houston fut contre toute attente annulé en 2005 par la Cour Suprême des Etats-Unis?

 

 

 

Un actif immatériel tel qu’une marque est intemporel.

La confusion la plus répandue consiste à mélanger entreprise et marque. On voit des entreprises disparaître et leur marque leur survivre : c’est le cas de FRIGIDAIRE. On voit des entreprises déposer le bilan, laisser des ardoises et leurs marques être rachetées et relancées : POLAROÏD, CAMIF etc. Une marque, en théorie, ne meurt jamais et sa valeur financière est toujours reconstructible, même si on n’est pas prêt de voir le retour d’une banque d’affaires nommée LEHMAN. Non pas que cela soit impossible, mais il faudrait une “vertu” que Schumpeter pointait déjà dans son portrait de l’entrepreneur : un courage hors du commun.

 

Les valeurs s’endorment chaque soir et ne se réveillent pas toujours le lendemain.

La foi ne saurait exister sans ses œuvres“, écrivait Saint Augustin. Une valeur morale est toujours un engagement à prouver demain après avoir prouvé hier. Idem pour les valeurs d’une marque: elles s’endorment chaque soir et ont besoin d’être réveillées le lendemain matin. Les preuves d’hier ne préjugent jamais des preuves de demain. Dans un sens comme dans l’autre, par conséquent. Ce n’est pas parce qu’une marque, par le passé, a été “proche” qu’elle le sera demain : LA POSTE pourra-t-elle à nouveau symboliser demain la proximité qu’incarnait hier le facteur? Le futur d’une marque a constamment besoin d’être réincarné, que le passé ait été glorieux ou piteux. En clair, le rachat est toujours possible, surtout sur le sol américain où la gloire, la déchéance et la rédemption structurent le story telling national (cf la réélection de Georges W. Bush, alcoolique et looser repenti).

 

Le pari est loin d’être gagné pour les équipes d’ANDERSEN TAX : au moindre péché véniel le péché capital d’ENRON resurgira. Mais ce n’est pas perdu d’avance : une marque donne confiance aux clients autant qu’elle engage ceux qui l’arborent. Derrière “ANDERSEN TAX” qui, reconnaissons-le, a plus de charge émotionnelle que “WTAS” se cache un serment de fidélité à soi-même. Il n’est pas impossible que le DRH de ANDERSEN TAX reçoive subitement beaucoup de CV des ex-ANDERSEN qui avaient vécu le démantèlement de leur groupe comme une injustice. Et, commercialement, il est très vraisemblable que de nombreux PDG acceptent de déjeuner avec leurs anciens consultants ANDERSEN passés entre temps chez DELOITTE, KPMG, E&Y, ce qui constituerait une stratégie de différenciation inédite pour redevenir global. Les concurrents, les “four fat” (!), devraient se bouger pour anticiper ce qui ressemble à un petit cygne noir.

 

Very challenging, uncle Sam…