Mer démontée

« La mer est démontée!

Quand la remonte-t-on? »

Raymond Devos traquait la langue, bondissait sur les mots, les capturait d’un coup de filet et les métamorphosait avec sa prodigieuse bonne humeur et son sens de la dérision.

– Je voudrais un billet pour Caen

– Pour où?

– Pour Caen

– Comment voulez-vous que je vous dise pour quand si vous ne me dites pas pour où!

Un comique joue avec les mots, laisse le malentendu s’installer, rebondit sur les différents sens, égare son interlocuteur. Subitement, le cerveau a recollé les morceaux de sens éparpillés et le rire jaillit.

« Je me suis aperçu que ce qu’on appelait jeux de mots, c’est un jeu de l’esprit qui se sert des mots pour avancer et provoquer le malentendu », déclarait Devos.

Le malentendu vaut mieux que le bien entendu: il génère un sens inattendu!

« Se coucher tard nuit! »

Les Américains ne possèdent pas plus de cent mots polysémiques. La langue française, la plus difficile du monde à informatiser, en possède des milliers:

– Une cible: jeu de fléchettes et catégorie de clients.

­– Un ours: l’animal et l’endroit d’un journal contenant des informations sur l’équipe.

– Un amateur peut signifier deux choses contraires: un mauvais et un excellent.

La quarantième édition du Petit Robert (2007) contient 60 000 mots et 300 000 sens, soit en moyenne cinq sens différents par mots.

« En sondant ces mots un soir d’été: je pêche ou bien je pèche.

Avez-vous médité sur tout l’ennui caché dans l’accent circonflexe. » Victor Hugo

extrait du « traité de tous les noms » Pierre-Louis Desprez & Ivan Gavriloff (Descartes & Cie, 2007)